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Le devoir et l’honneur réclament pour base la justice. S’ils ont, durant cette guerre, atteint dans notre armée leur suprême expression, c’est que tous nos soldats savent, de science sûre, que la France, une fois de plus, s’y trouve la messagère armée du droit…


Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre[1].


Le vœu du poète a été comblé, car nulle guerre ne fut plus juste que celle où il est tombé…

Sans doute la France souffrait, depuis quarante-quatre ans, non pas tant de sa défaite, que de l’injustice qui l’avait consacrée. Arracher des provinces à un pays quand, née de tant d’histoire, s’y était exaltée l’âme de l’indivisible patrie ; les rattacher de force à une nation dont elles avaient horreur ; nier les droits imprescriptibles qui doivent sauvegarder les peuples comme les individus, c’était mettre dans le monde un tel poids d’injustice que son instable équilibre menacerait désormais d’être à chaque instant rompu. La France le savait et que, tôt ou tard, pourrait sonner l’heure des revanches du droit. Et la vue de son armée lui épargnait l’amertume des souvenirs sans espérance…

Mais cette heure-là, qui donc chez nous eût osé avancer ou même souhaiter sa venue ? Sans pouvoir deviner ce que serait cette guerre, nous pressentions son effroi. Nous nous obstinions naïvement à prêter à nos ennemis la même horreur de l’évitable fléau, et les insuffisances de notre préparation, si elles accusent notre clairvoyance, témoignent, du moins, de notre candide bonne foi.

Il semble, d’ailleurs, que les Allemands, si impuissants à pénétrer notre âme, se soient ingéniés à nous rendre plus éclatante et plus chère la justice de notre cause. En se refusant à l’arbitrage proposé, ils se sont eux-mêmes arbitrés coupables. En reniant la parole donnée à la Belgique, ils se sont mis hors la loi et hors l’honneur. Et dédaigneux enfin d’attendre que le jeu de notre alliance et la violation de la neutralité belge nous aient conduits à leur demander raison, ils se sont jetés sur nous…

  1. Charles Péguy.