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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/697

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point compromis leurs affaires communes. La comtesse Leutrum attribue à une sorte d’hystérie belliqueuse des Empires centraux, à la légende d’une guerre défensive qui leur serait imposée contre l’agression, l’altitude de son pays. Il est évident que cette généreuse hypothèse ne saurait être admise par aucun observateur impartial de la politique européenne. La vérité est que la Hongrie était plus inféodée encore à l’Allemagne que l’Autriche. L’Etat transleithan s’appuyait sur le germanisme pour imposer sa domination aux Slaves du Sud.

L’auteur elle-même, avec sa bonne foi absolue, reconnaît d’ailleurs cette pente fatale de la politique hongroise, quand elle en vient à parler des populations slaves assujetties aux Magyars. La position fausse où se trouve la Hongrie lui a fait commettre, à son tour, une série d’incroyables fautes à l’égard de ces populations. Entravée, humiliée, elle est devenue ombrageuse et persécutrice. Blessée dans son orgueil national, elle a exercé sur de plus faibles des représailles. C’est un assez vilain trait de la nature humaine, avoue la comtesse Leutrum ; mais il est humain.

Que ce soit là une explication, nous n’en disconvenons point. Mais chercher à expliquer le fait, c’est le tenir pour accordé, et voilà précisément ce qui nous permettra de ne pas distinguer entre la Hongrie et l’Autriche dans la responsabilité des Empires centraux.

Elle se précise encore, du côté autrichien, par les propos qu’entendit la demoiselle d’honneur au printemps de 1906, le jour de son audience d’adieu au palais de l’archiduc à Vienne.

Fiancée au comte Leutrum, elle résignait sa charge et venait prendre congé. Elle fut retenue à déjeuner. Le baron d’Aerenthal était parmi les convives ainsi que la baronne, qui avait précédé immédiatement Mlle Okoliczanyi comme dame d’honneur de J’archiduchesse ; et l’entretien, au sortir de table, prit un tour d’intimité. Aerenthal rentrait de Saint-Pétersbourg, où il avait eté ambassadeur pendant plusieurs années. Il prit place sur un sofa avec le couple archiducal, en face du groupe que formaient les jeunes filles et la demoiselle d’honneur. Celle-ci l’entendit déclarer : « Une partie de la difficulté consistera toujours dans le moyen de pousser assez loin la provocation. Ils sont si ennuyeux avec leur pacifisme, leur placidité et leurs bonnes intentions. » Ils, c’était la Russie, de toute évidence.