Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’archiduc prononça : « C’est très ennuyeux, en effet, parce que, naturellement, si les choses en viennent à prendre corps, il ne faut pas que nous encourions l’odieux de provoquer une guerre. Cela pourrait créer une fatale divergence d’opinion parmi nos nationalités et attirer sur nos têtes le courroux de l’Angleterre, ce qui n’est pas désirable. » Aerenthal répliqua que l’on pourrait toujours trouver un prétexte, quand le moment serait venu. Il suffirait d’un coup quelque part, dans les Balkans, quelque chose qui parût parfaitement légitime, mais que la Russie ne pût pas accepter, parce qu’elle a toujours été le champion de la fraternité de tous les peuples slaves. On se conciliera l’Angleterre par le fait qu’on aura les Turcs avec soi : elle a trop de sujets mahométans à ménager pour changer jamais sa politique à cet égard. Il fut question des troubles de Russie, dont il ne fallait pas, dit Aerenthal, s’exagérer la portée, et aussi de la Pologne, qu’il s’agissait d’irriter contre la Russie. Quel dommage de n’être pas prêts à tomber sur la Russie maintenant, tandis que tout était en fermentation ! Mais il fallait six ou sept ans, peut-être plus, pour être en état de risquer le coup.

La même année, le comte Goluchowski, Polonais de naissance et marié avec une Française, la princesse Murat, abandonnait le pouvoir, vaincu par les intrigues d’Aerenthal, qui lui succédait, et auquel ses admirateurs allaient se presser un peu trop de décerner, après l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, le qualificatif de « Bismarck autrichien. »

Cette année aussi, qui fut celle de son mariage, la comtesse Leutrum vint passer sa lune de miel dans une maison que lui prêtait sa tante, la princesse Paskévitch, à Temblin, aux portes mêmes de la forteresse d’Ivangorod. Ce séjour lui fut une occasion très saisissante de constater, une fois de plus, non pas seulement que la Russie ne souhaitait pas la guerre, mais, ce qui est plus grave, qu’elle ne donnait aucune pensée a la guerre, qu’elle n’y était pas préparée. On était alors en pleine révolution. Il eût été bien naturel qu’un sentiment de méfiance se manifestât à l’égard de ces étrangers, appartenant à un pays que les Russes pouvaient considérer comme inamical. A tout le moins, on aurait pu leur défendre l’accès de la forteresse. Le gentilhomme magyar et sa femme prirent l’habitude de fréquenter les magasins militaires installés à l’intérieur. Un peu