Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montre au peuple. Des cavaliers, puis des fantassins arrivent et balayent la place ; curieuse, la foule se porte sur les marches des temples et regarde. « Alors, dit M. Courbaud, mais alors seulement, le porte-étendard de l’escorte de Galba, en jetant à terre le médaillon de l’empereur attaché à la hampe, donne le signal de la trahison, la litière est assaillie et Galba percé de coups. » Or, dans le récit de Tacite, le « geste » du porte-étendard précède la dispersion de la foule. M. Courbaud reproche à Tacite une telle inexactitude. Et comment M. Courbaud sait-il au juste à quel moment le porte-étendard a jeté par terre le médaillon de Galba ? C’est Plutarque, en son Galba, qui le lui a dit. Mais vous croyez tout de Plutarque ; et, de Tacite, vous ne croyez rien : pourquoi ? Et, le lendemain, le soir même du jour que Galba fut assassiné, si vous aviez interrogé les témoins oculaires, — qui sont toujours les témoins les plus dangereux, — sur le moment où le porte-étendard jeta par terre le médaillon de Galba, combien de réponses merveilleusement diverses n’auriez-vous pas recueillies : voire, si vous aviez interrogé le porte-étendard, il vous aurait dit ce qu’il aurait voulu, ou bien ce que vous auriez voulu ; et, si vous l’aviez interrogé deux fois, ne soyez pas sûr que vous auriez obtenu les deux fois la même réponse. Les « inexactitudes » de Tacite, les voilà. C’est une misère. Et l’on a démontré la vérité incomparable d’un historien, quand la critique la plus vétilleuse n’a pas trouvé de plus graves reproches à lui faire.

Les « inexactitudes » de Tacite, M. Courbaud les attribue au désir qu’il attribue à Tacite, de rendre son histoire plus dramatique. L’histoire est plus dramatique si les cadavres sont plus nombreux, si le char de Galba écrase leurs monceaux ; l’histoire est plus dramatique si Othon, se rendant au Capitole le soir même du meurtre de Galba, traverse le forum encore ensanglanté ; l’histoire est plus dramatique, si le « geste » du porte-étendard a suffi pour déchaîner une révolution : « la recherche de l’effet dramatique est la source de presque toutes ces inexactitudes historiques. » M. Courbaud ne dit pas que Tacite soit un menteur ; — M. Courbaud n’a pas tant de décision : — mais il le croit assez capable de ces petits mensonges que les rhéteurs recommandaient à leurs élèves, causam mendaciunculis aspergere.

C’est que Tacite est, pour M. Courbaud, l’excellent élève des rhéteurs. Tacite n’a-t-il pas été avocat ? n’a-t-il pas été magistrat ? Pendant vingt-cinq ans, il a fait son métier de l’éloquence. M. Courbaud considère qu’on ne se guérit pas de l’éloquence ; il y a des maladies qui ne pardonnent pas : l’éloquence en est une. Sur les rapports de