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l’éloquence et de la vérité, M. Courbaud a de très jolies pages toutes pleines de faux respect, d’ironie emmitouflée. Jamais il n’admettra qu’un ancien orateur ait cessé d’être un orateur ; et jamais il n’admettra qu’un orateur soit un historien scrupuleux. Cicéron définit l’histoire « une œuvre d’orateur, est opus unum hoc oratorium maxime. » M. Courbaud nous donne à choisir : l’éloquence ou l’histoire ; en d’autres termes, le mensonge ou la vérité. Je ne dis pas non.

Mais, en définitive, cette influence des rhéteurs sur Tacite, il faudrait nous la montrer. M. Courbaud se flatte de nous la montrer dans les inexactitudes et les exagérations de Tacite : seulement, les inexactitudes et les exagérations, les a-t-on vues ?… Puis M. Courbaud, ses meilleures pages, — et parfaites, — il les consacre au style de Tacite, à nous montrer comment Tacite a brisé la période cicéronienne. Or, le style oratoire, n’est-ce pas, chez les Latins, le style abondamment périodique ? Le style de Tacite, avec ses difficultés, avec tant de concision que vous avez besoin de suppléer par une pensée prompte à ce qu’il ne dit pas, n’est-ce pas le contraire d’un style oratoire, chez les Latins, et même en tous pays ? Le style de Tacite exige un éveil perpétuel de l’attention fine et intelligente : orateur, osez-vous attendre d’un auditoire l’intelligence, la finesse et le perpétuel éveil de l’attention ? Le style de Tacite, M. Courbaud le définit à merveille « un style à surprises : » l’auditoire est content de savoir sans cesse où vous le menez, content de vous avoir deviné ; vous le déconcertez ? il vous échappe. Il y a des surprises que l’auditoire aime pourtant : oui ; mais, pour ainsi parler, de ces bonnes grosses surprises qu’il prévoyait à demi. Aussitôt, il se félicite et murmure : « Je m’en doutais ! » Il applaudit et l’orateur et lui-même. Les « surprises » de Tacite, ce n’est pas cela : c’est l’impossible prévision, l’attente déçue, l’esprit taquiné.

M. Courbaud s’en aperçoit, en quelque manière. Car il n’explique pas Tacite, ou les défauts de Tacite, par la seule influence des rhéteurs. Une autre influence qu’il juge qui s’est exercée fortement sur Tacite est celle d’une mode en son temps bien répandue : on lisait en public des fragments de l’œuvre qu’on avait sur le métier. Grande vogue de ces lectures, à l’époque de Nerva et de Trajan : voyez la correspondance de Pline. D’abord, on invita quelques amis. Pollion, sous Auguste, convia beaucoup de monde ; et l’assistance se réunissait dans une salle analogue à un théâtre. Les amis, on les conviait par invitations portées à domicile, per codicillos ; pour le public, il y