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encore plus satisfaite de te voir plus de suite dans ton travail. Il me semble qu’à moins de choses qu’on ne peut prévoir, on ne devrait commencer une chose qu’après avoir terminé ce que l’on avait mis en train. Me voilà bien sévère. » La sévérité d’Adèle Foucher trahissait surtout l’incompréhension où se trouvait la jeune fille des lois qui commandent l’inspiration. Elle ne comptait pas assez avec « cette chose qu’on ne peut prévoir » et à laquelle le génie même le plus maître de sa volonté doit obéir.

Ce sont les carnets de Victor Hugo qui portent le témoignage le plus significatif de la diversité des sujets auxquels le poète travaillait ou dont son esprit s’amusait. Ils sont le miroir fidèle où son imagination se reflète, en même temps que sa vie y inscrit ses dates et ses faits principaux. Cette habitude était ancienne. Le premier cahier de Victor Hugo, alors âgé de dix-huit ans, remonte à 1820. Il était fiancé, et son carnet mêlait des vers aux notations, beaucoup plus nombreuses, qu’il consacrait aux étapes de son amour. De 1820 à 1855 les carnets sont rares, ou ils manquent. C’est en 1855 qu’ils deviennent réguliers et abondants. M. Gustave Simon les a dépouillés avec un soin heureux. Les vers lui ont permis d’apporter aux œuvres du poète une précieuse contribution de variantes inédites. La prose, qui n’est pas moins intéressante, a enrichi l’édition complète, qu’il a publiée, de ces étonnantes Choses vues où s’est révélé un des aspects les plus imprévus du génie de Victor Hugo.

J’ai eu la bonne fortune de mettre la main sur une série de carnets inédits que Juliette Drouet avait conservés avec une jalousie fidèle et discrète. Riche comme Booz et non moins généreux, M. Gustave Simon m’a permis de glaner les épis qui étaient tombés derrière lui. La gloire de Victor Hugo ne peut que gagner à cette reconstitution des matériaux qui ont contribué à édifier son œuvre, ou à la publication des notes qui se rapportent à des événements importants de son existence. Avec les miettes de cette table inépuisable et somptueuse il y a encore de quoi alimenter plusieurs festins.

Les cinq carnets que je possède se# réfèrent aux années 1856, 1857, 1861, 1871, 1872 et 1877. Ils sont aussi abondants que variés. Ils renferment des vers, de la prose, des comptes, des conversations, des choses vues, des détails familiers… et