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pas trompé sur la date de Dieu, écrit dans la belle maturité du génie du poète. La plus grande partie de l’œuvre était terminée en 1855. Victor Hugo la reprit en 1856 et la transforma en y ajoutant d’importants développements. Son carnet enregistre, à plusieurs reprises, le mouvement de sa pensée. Il renferme, tantôt des passages achevés, tantôt des ébauches qui n’ont pas reçu leur forme définitive. Les variantes que j’y découvre sont assez nombreuses, mais elles n’ont pas d’intérêt réel. Que vaudraient ces quelques brindilles à côté des milliers de vers que renferme le prodigieux reliquat de Dieu ? J’aime mieux donner deux dessins qui sont un commentaire pittoresque de la pensée de Victor Hugo et qui la présentent sous un aspect nouveau. Les grands poètes de la période romantique se sont presque tous essayés à des croquis en marge de leurs œuvres ou de leurs lettres. Lamartine y mettait de la gaucherie négligente, Alfred de Vigny de la correction académique, Alfred de Musset une audacieuse espièglerie. Leurs dessins sont des curiosités amusantes, dont la signature fait la valeur. Théophile Gautier avait plus d’art et de métier. Mais seul Victor Hugo avait le don. Tout jeune écolier, il enrichissait ses devoirs d’abondantes illustrations. Ce goût se développa chez lui jusqu’à devenir une véritable maîtrise. Son imagination l’entraînait souvent dans la fantaisie, mais il savait aussi traduire, avec des procédés tout personnels, les paysages ou les monuments. Je sais de grands artistes qui n’hésitaient pas à voir en lui un émule ou presque un égal, et quand, au cours d’un commun voyage en Normandie, en 1836, Célestin Nanteuil lui abandonnait son album, ce n’est pas au peintre que revenait l’honneur de la comparaison. Le carnet de 1856 renferme de nombreux croquis, au milieu desquels la figuration d’oiseaux rapaces, dessinés à l’encre de Chine, est plus particulièrement poussée. C’est d’abord une aile magnifique de vautour qui remplit, sans légende, une pleine page ; puis, dans les deux pages qui suivent, une aile, un vautour en vol d’attaque et un bec curieusement fouillé.

Au moment où il dessinait ces bêtes de la « famille monstrueuse, » Victor Hugo composait la partie de Dieu qu’il a intitulée le Vautour. Le poème contenait, dès l’origine, une série de révélations que des oiseaux symboliques, caractérisant les aspects principaux et les erreurs des religions, faisaient à