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avec un art qui n’hésite plus. Là aussi la maîtrise est acquise. Au hasard des rencontres ou de l’imagination, le crayon, alternativement, dessine ou écrit. Il jette des vers destinés à Maglia et à la Forêt Mouillée. Balminette songeant s’écrie :

Si je pouvais extraire un peu d’or de ce vieux ?

et tout de suite après le poète enregistre un cauchemar :

La chimère nocturne est passée et m’a pris
Dans ses griffes avec des baisers et des cris ;
J’ai senti ses flancs nus, ses ailes et sa bouche.
Puis elle s’est enfuie et m’a laissé farouche.

Les doctrinaires s’entendent dire leur fait en vers sévères dans une page dont le bas est occupé par un dessin à l’encre de Chine, d’où paraît surgir, immense sur ce petit espace, une ville pittoresque. Cette page du carnet forme un tout si caractéristique de la manière de Victor Hugo qu’il suffit de la reproduire sans la commenter : elle est, vraiment, charmante.

La ville de Bréda, où il passa quelques jours, ne laisse pas en repos le crayon de Victor Hugo. Entre Bréda et Termonde, où une jolie tour à clochetons est vivement enlevée, le poète est pris par l’idée d’un poème, la Fiancée, qu’il destine à la Légende des Siècles. A deux reprises, il confie au carnet les vers que son esprit vient d’arrêter :

Alors, glacée,
Comprenant qu’il allait mettre à nu sa pensée,
Elle lui dit : Prenez mon âme et fouillez-la'.
L’œil du comte jaloux et sombre étincela.
Pâle, elle se taisait. Le mort épouvantable,
Couché seul dans la nuit et nu sur une table,
N’attend pas avec plus de calme le scalpel.

Ces vers sont écrits au crayon, nets et sans ratures. Ceux qui suivent ont d’abord été crayonnés pendant une promenade et les mouvements de la voiture en ont fait de véritables hiéroglyphes. Victor Hugo, qui seul pouvait en déchiffrer le secret, les a repris à la plume :

<poem> Elle songe à l’horreur de ce lit qui l’attend, Que subir cette nuit de noces, c’est infâme ; C’est, en souillant son corps, découronner son âme ; Et que le plomb fondu, les chevalets, les clous,