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Les plus affreux tourments sont ravissants et doux Auprès du désespoir des baisers de cet homme. </poem>

Entre ces deux fragments de la Fiancée, dont la pièce paraît n’avoir jamais été reprise et achevée, Victor Hugo a jeté dans un coin de page deux vers admirables :

Le spectre, traversé d’étoiles, dans l’azur,
Qui s’allonge et qui flotte aux plis de la nuée.

A Ath, le 23 août, à 9 heures du matin, Victor Hugo croque au crayon le donjon de Baudoin. Secoué par le cahot de la voiture, il écrit difficilement, puis il recopie ce quatrain, dont le dernier vers renferme une image qu’il reprendra plus tard :

Les laboureurs le soir, contents de leur journée,
Chantent et, revenant au village vermeil,
Traînent sur le pavé qu’inonde le soleil
Les larges socs, luisant ainsi que des cuirasses.

Cette vision champêtre est suivie d’une pensée philosophique : ainsi va, du dehors au dedans, l’esprit, toujours en travail, du poète.

Comme on a hors de soi ce prodigieux monde
Tournant autour d’un centre où la lumière abonde,
Et doit sortent la vie, et l’aurore et la loi,
Et comme en même temps on porte un centre en soi
Autour duquel le monde intérieur gravite,
Pour peu qu’on réfléchisse et pour peu qu’on médite,
On sent l’identité de l’âme et du soleil

A Thuin, le 24 août, sollicité par une jolie tour à horloge, Victor Hugo la jette sur son carnet.

Quelques vers, d’un ton assez hardi, rangés sous la rubrique Epitres, séparent ce dessin à l’encre de Chine d’un dessin au crayon, que je trouve vraiment extraordinaire.

Il suffit de quelques traits à Victor Hugo pour donner une impression profonde. Ce croquis vaut un tableau. L’immobilité accablée sous laquelle un pesant soleil endort ces moutons est rendue avec un art dont la simplicité atteint à la puissance. A sa façon, le crayon de Victor Hugo égale le Midi roi des étés, de Leconte de Lisle.