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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/804

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Que devons-nous aux morts ? / — Rendre leur mort féconde,
Et, pour qu’il n’en soit pas d’oubliés en ce monde,
Grouper, chacun, les noms dont nous nous souvenons,
Et ne pas vivre un jour sans réciter ces noms.
Comment sera tissé l’avenir de justice ?
— Entre les Peupliers l’Etoile blanche tisse
Le songe des marcheurs douloureux et plies.
« Plus qu’un coup de collier ! » disent les Peupliers,
« Et vous y êtes ! » — Plus qu’un seul, et nous y sommes,
Soupirent, plus humains à chaque pas, les hommes.
Mais, dans leurs poings trop durs et sur leurs fronts trop lourds,
N’est-ce donc plus le Casque, et n’est-ce pas toujours
La Baïonnette ? — C’est la Baïonnette encore.
Mais qui sert, cette fois, à tisonner l’aurore.
Et c’est le Casque. Mais il est bleu. — De quel bleu ?
— D’un bleu que je me dis dans mon cœur. — Dites-le.


— Où fleurit le Droit ?
Où luit la Raison ?
C’est dans un endroit
Nommé l’Horizon.

Le présent ? Pesant.
Le passé ? Glacé.
Laisse le présent.
Quitte le passé.

Bleu de l’avenir !
Seul bleu dans lequel
On croit voir s’unir
La terre et le ciel !

Ce bleu violet,
C’est celui je crois,
Que Jésus voulait
Derrière sa croix !

Brise ton amour,
Brûle ta maison,
S’ils t’ont un seul jour
Caché l’Horizon !

Qu’un peuple d’hier
Meure pour demain,
C’est à rendre fier
Tout le genre humain !


EDMOND ROSTAND.