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Bonnet rouge ou bonnet à poil, têtes pareilles,
Gardant du paysan l’anneau d’or aux oreilles.
Et du Grognard sort le Brisquard. Et du Brisquard
Sort le Lignard. Le bidon tinte sur le quart.
Et chaque section, de pointes hérissée,
Semble, sur les labours, la herse renversée !
Et la colonne marche et ne s’arrête pas ;
Le cœur s’ajoute au cœur, le pas s’ajoute au pas ;
Et cette magnifique addition marchante
De souffrance qui rit, de fatigue qui chante,
Finit par faire le Troupier ; et le Troupier
Fait l’humble Tourlourou, triste et traînant le pied,
Qui, grossi du Moblot dans un hiver atroce,
Fait le Pousse-Cailloux, qui fait le Fantabosse,
Qui fait le Marche-à-terre et qui fait le Biffin,
Lequel, dans la sueur et dans la boue, enfin,
Fait la somme de tous ces hommes. — Et la somme.
De tous ces hommes, quelle est-elle ? — Le Bonhomme.
Et que fait le Bonhomme une fois résolu
A devenir mauvais par bonté ? — Le Poilu.
Qu’est-ce que le Poilu ? — L’homme total en marche.
Vers quoi ? — Vers ce qui luit sur la Crèche ou sur l’Arche.
D’où vient que le Poilu porte, en plus d’un fusil,
Un gros bâton noueux dans la forêt choisi
Et, sous le sac de cuir, des besaces de toile ?
— C’est afin qu’à travers les peupliers l’Etoile
Sache bien que vois elle il veut se diriger
Et dans chaque soldat reconnaisse un berger.
Ce mot Poilu peut-il nous plaire ? — Il doit nous plaire.
Pourquoi ? — Parce qu’il est grondant et populaire
Et qu’il sent à la fois le pauvre et le lion
Que devons-nous à ceux qui, sans rébellion
Ni de chair ni d’esprit, furent pour nous se battre ?
— Nos devoirs envers eux sont au nombre de quatre :
Les envier, en nous rongeant pour inventer
Des moyens de souffrir aussi ; les assister
Sans mesure ; les admirer avec tendresse,
En racontant, dès qu’ils ne sont pas là, sans cesse,
Les choses dont jamais aucun d’eux ne parla ;
Les respecter en nous taisant quand ils sont là.