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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/814

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d’aviation, parmi les Bessonneaux. On s’empresse autour de lui, il a regard à tout, surveille tout, me montre orgueilleusement les sveltes appareils qui ont survolé Vienne, ainsi qu’un grand et splendide avion dont lui firent don les irrédents. De toutes parts se trouvent-peints des symboles et des devises. Sur les carlingues, je lis : Sufficit animus (Le courage suffit), ou bien : Tramite recto. (Par la route droite.) Ailleurs, c’était : Semper adamas. (Toujours de diamant, ou d’acier.) Cominus et eminus ferit. (Il frappe de près et de loin.) Io ho quel che ho donato. (J’ai ce que j’ai donné.) Più alto e più oltre. (Plus haut et plus loin.) Memento audere semper. (Souviens-toi d’oser toujours.) Le tout sous des aigles, des ailes, des proues, des cornes d’abondance, etc… La beauté, la poésie, le rêve se répandent partout, dans son escadrille, par ses soins et sa volonté. Ajoutez-y l’énergie et l’audace[1]. Il n’en est pas seulement le commandant, mais vraiment l’animateur. Il y a longtemps que, dans les lettres, nous le nommons ainsi.

Enfin : « Je vais m’habiller ! » fait-il… Et il nous quitte.

Quelques instants après, reparut à nos yeux une sorte de personnage polaire, une boule de lainages bruns doublés de triples fourrures. Comme il souriait, on éprouvait plutôt l’impression de la légèreté, comme si un coup de vent dût enlever tout à l’heure cette houppe de laine. Mais en son visage enserré par le passe-montagne, ses deux yeux, — même celui qui fut blessé, — semblaient énormes, puissants, effroyablement volontaires, des yeux de haut vol, d’implacables yeux de proie ! Entouré de tous, il se rend vers l’avion dont il a fait choix pour sa reconnaissance d’aujourd’hui : il s’agit d’aller atterrir, s’il se peut, près de Pordenone, sur le champ d’aviation de la Comina, sans doute évacué à cette heure par l’ennemi. Le commandant prend fort à cœur cette expédition, parce qu’il a débuté dans l’aviation militaire à la Coiniun, et y a vécu de longs mois merveilleux avant Caporetto. Quelles qu’eussent été les objections des pilotes, touchant l’état du ciel, où celles de ses amis, vu l’incertitude au sujet de la présence ou de l’absence

  1. Sans omettre la fierté, non dépourvue d’impatience. Ce matin-là, justement, comme un journaliste d’une nation neutre faisait demander, avec l’autorisation qu’il fallait, la permission de visiter l’escadrille, le commandant s’écria soudain, blanc de colère : « Répondez que le commandant d’Annuuzio ne veut pas ! Dites qu’il refuse net de montrer à un neutre son camp et ses armes ! » Et il fallut que le messager s’en fût avec cela.