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L’ALSACE ET LA LORRAINE RETROUVÉES.

main, que son atavisme barbare préparait d’ailleurs à cette déformation mentale, a été savamment entraîné à la cruauté vis-à-vis des vaincus, comme aux appétits de conquête. Difficilement il se résignera, même après l’écroulement de ses rêves monstrueux, à reprendre un rang modeste dans la société des nations. Nous autres, qui l’avons vu à l’œuvre, nous savons combien l’intellectuel, comme l’homme du peuple, l’industriel comme l’ouvrier, ont, chez les Allemands, le culte exclusif de la force et dédaignent la bienveillance et la bonté.

Oderint dum metuant, telle fut leur devise en Alsace-Lorraine, tel fut leur mot d’ordre pendant la guerre. Partout où ces reîtres ont passé, même là où, comme en Ukraine et en Lithuanie, ils prétendaient venir en libérateurs, ils ont semé la haine et récolté la révolte. Bismarck, qui s’y connaissait, disait déjà : « Nous ne savons pas nous faire aimer, » et il semblait tirer de là quelque orgueil. Est-il dès lors surprenant qu’en Alsace-Lorraine la domination prussienne ait été abominée tant par les anciens, qui avaient connu et chéri la France, que par les jeunes, qui n’avaient vécu qu’avec des Allemands ?

Voilà pourquoi nos deux provinces saluent avec un enthousiasme débordant leur libération de ce joug odieux, de ces contacts répugnants. Je savais que cet enthousiasme serait prodigieux. L’événement a cependant de beaucoup dépassé mon attente. C’est qu’aussi la cruauté allemande s’était, au cours des dernières années, surpassée elle-même. De rares et sinistres échos nous en arrivaient parfois par-dessus la ligne de feu ; mais ce n’est qu’aujourd’hui que, dans les récits indignés des victimes, nous en percevons toute l’horreur. Il semble qu’avant de quitter le théâtre de leurs anciens exploits, les Allemands aient voulu détruire jusqu’aux derniers vestiges, non de l’affection, mais de l’indulgence des annexés. Fusillades, pillages, réquisitions féroces, emprisonnements, amendes, rien n’a été épargné à ceux que, par une poignante ironie, les tyrans appelaient des « frères retrouvés. » L’Alsace-Lorraine n’oubliera jamais cette dernière épreuve.

Le mauvais rêve a pris fin. La France rentre chez elle. Ses enfants l’accueillent avec des cris de joie délirante. Ils ont confiance dans l’avenir. Ils ne doutent pas que la mère patrie