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la vie des soldats… Beaucoup n’avaient rien emporte’ que leurs habits qu’ils avaient sur le dos… Il y avait pourtant de nombreuses voitures de paysans, chargées de toutes sortes d’articles de ménage, de marchandises, depuis les poêles jusqu’aux cages d’oiseaux[1]. »

«… Quelques-uns poussaient des brouettes, d’autres des voitures d’enfant pleines d’une espèce de bric-à-brac… Une femme sortait de la tourmente emportant son chat dans une cage à serin : l’animal se cramponnait aux barreaux avec ses griffes crispées, et ses yeux noirs brillaient de folie…[2]. »

Comme dans tous les grands sinistres, en effet, les gens avaient sauvé, au hasard, les objets les plus insignifiants. Un commerçant qui n’avait pas songé à emporter de son bureau la moindre pièce d’archive s’était astreint à prendre les pincettes, et les promena précieusement pendant des heures[3] !

Malheureusement, le Service automobile pouvait peu de chose pour tous ces pauvres gens. À cette question bien naturelle : « Les camions qui avaient porté du matériel à Verdun ne pouvaient-ils, au retour, charger tout cela ? » la réponse est facile : c’est que les camions, précisément, ne revenaient pas à vide : ils transportaient toutes sortes de matériaux militaires, caisses à munitions, réserves de matériel qu’il fallait évacuer, marchandises de la gare de Verdun, etc. On dut donc se borner à transporter à l’arrière les malades (particulièrement le 25 février et le 6 mars) ; et puis, il va sans dire que tous les conducteurs, lorsqu’ils le pouvaient, prenaient du moins les vieillards, les femmes, les enfants, les infirmes, lamentables épaves de l’effroyable cataclysme !

Le 25 et le 26, les services publics s’en allèrent. Du 25 février au 8 mars, c’est la période critique. Quelques camions déménagent encore les archives, mais la plupart ont « autre chose à faire. » Le 8 mars[4], le maire, avec les derniers habitants, franchit la porte de la ville : il ne reste plus, dans Verdun, qu’un ou deux civils[5].

  1. Frank Hoyt Gailor, ouvrage cité.
  2. The Section at Verdun, par Henry Sheahan, conducteur dans une section américaine, dans Friends of France.
  3. Ce trait m’a été rapporté par M. Georges, procureur de la République à Verdun, qui quitta la ville l’un des derniers.
  4. Renseignements fournis par la maire de Verdun.
  5. En resta-t-il un ou plusieurs ? Il est très difficile, même pour un fait aussi simple, de découvrir la vérité. On a cité le garde champêtre ; mais celui-ci est-il réellement un civil ? Je crois, après enquête, que le seul vrai civil qui resta tut M. Cabrillac, secrétaire de la mairie, qui ne quitta Verdun que le 1er avril. Il n’est pas inutile d’inscrire ici le nom de ce vrai modèle du » citoyen. »