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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/933

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peut sauver en les faisant arriver cinq minutes plus tôt sur la table d’opération !… Mais je crois bien que je vais me vanter ! à toi !… Et puis, je suis de ton avis, est-ce que cela existe, auprès des fantassins ? Eux, eux seuls, et voilà tout. Et dire que Paris ne se rendra jamais compte !… Moi, quand je les vois, je me dégoûte et je m’injurie. Enfin, quoi faire ? — Tu as le bonjour de Charles Brémond, etc. »

Dernière lettre écrite par le conducteur André Chapelle, tué, le lendemain, « dans l’accomplissement de sa mission. » — Il avait été le camarade de voiture de l’auteur de cet article, qui adresse ici, à sa mémoire, un hommage ému[1].


LES CIVILS

On sait que le premier coup de canon n’effraya pas beaucoup les habitants de Verdun. Personne n’ayant été prévenu, pas même la mairie, ils crurent à un bombardement comme il y en avait eu plusieurs en 1915. Quand on comprit, avec stupeur, de quoi il s’agissait, il était trop tard pour entreprendre une évacuation méthodique : il n’y avait plus qu’à fuir.

Il y avait alors dans la ville environ 6 000 habitants[2]. Ils reçurent l’ordre de partir immédiatement, les services publics seuls devant rester jusqu’au 26.

On a peint souvent, depuis, l’affreux tableau de cet exode épouvantable :

«… Nous vîmes alors vieillards, femmes, enfants, fuyant sur les routes couvertes de neige, vers le Sud. Voyage difficile et souvent dangereux pour ces pauvres gens, car, pour éviter les accidents provenant des dérapages de camions, presque tous marchaient dans les fossés qui bordent la route ou même à travers champs…C’étaient, pour la plupart, de petits bourgeois qui venaient de quitter leurs boutiques, restées ouvertes jusqu’à la dernière minute pour rendre plus supportable et plus gaie

  1. Voir plus loin sa citation.
  2. D’après les ordres officiels d’août 1914, il devait rester à Verdun 1 200 habitants. Il en resta 3 000. Puis, dans le courant de 1915, par suite de rentrées clandestines, ce chiffre se trouva porté à près de 5 000. Après l’évacuation sur Verdun des communes environnantes, au 21 février 1916, il y avait plus de 6 000 civils présents dans la ville. — Ces chiffres m’ont été donnés par M. le commissaire central Proust, dans le boyau-casemate de la citadelle, pompeusement décoré du nom de « Services de la municipalité. »