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Pour gagner un kilomètre,
En comptant l’prix qu’i-zy-mettent.
Non ! Non ! même à quatre contre un,
Vous n’aurez pas Verdun[1] !

Et ils n’ont pas eu Verdun.

Eh bien ! dans l’hommage rendu à ceux qui l’ont sauvé, nous ne devons pas oublier complètement les serviteurs précieux qui leur ont apporté sans relâche, sans répit, sans faiblesse, avec bravoure et parfois même avec héroïsme, les vivres, le matériel, les munitions, l’artillerie, sans lesquels ils ne pouvaient rien.

On voudrait ici prendre le ton lyrique pour chanter comme il convient la grande et tumultueuse chevauchée de ces modernes monstres de fer, qui, dans un tintamarre infernal, jour et nuit, sans repos, haletant, soufflant, grinçant, ronflant, gémissant, ont transporté, dans leurs flancs, quelques millions de guerriers, leurs bagages, leurs armes et leurs machines. Car ils caractérisent et symbolisent parfaitement, avec leurs formes dénuées de beauté, mais puissantes, leur démarche inélégante, mais solide, l’idéal nouveau de cette nouvelle manière de se battre, qui n’est pas de notre invention ! Mais, devant leur terne, pesant, cahoteux et monotone défilé, on évoque, malgré soi, comme dans une brume légère et jolie, les nobles cavalcades de jadis, les longues processions de chevaux, si pittoresques, si colorées, si vivantes, si françaises ! Et l’on s’arrête alors, paralysé, les ailes coupées, impuissant, devant cette infériorité esthétique du présent sur le passé.

Il faut donc redescendre à la prose, au terre à terre ; et, dans ce cas, il est peut-être préférable de finir par ces paroles d’un général de là-bas, qui résument mieux, dans leur militaire et crâne crudité, toute l’ampleur du rôle joué par le Service automobile au printemps de 1916. Il regardait passer, rêveur, devant la« Citadelle inviolée, » une longue file de camions, qui revenaient de Souville. Il les désigna de la main ; puis, avec simplicité :

— Il est certain, dit-il, que, sans ces bougres-là, nous étions f… !


PAUL HEUZE.

  1. Éditions des « Petites affiches » de Rouen.