On prévoyait bien que les nouvelles élections donneraient au gouvernement britannique une forte majorité ; mais le résultat a dépassé encore les espérances. Quand nous disons les « nouvelles élections, nous ne voulons pas dire seulement : les élections « dernières ; » « nouvelles, « les élections anglaises l’ont été dans tous les sens et dans la pleine acception du mot. Corps électoral nouveau, procédure nouvelle, programme nouveau. Pour la première fois, la Grande-Bretagne et l’Irlande faisaient l’expérience du suffrage universel ; non pas de ce que, depuis 1848, on était convenu d’appeler, par extension et amplification, le suffrage universel, et qui, presque partout, ne comprenait que la partie masculine de la population, au-dessus d’un certain âge et sous certaines conditions, mais d’un suffrage aussi universel que possible, accordé également aux femmes et aux hommes, et n’excluant guère que les mineurs des deux sexes. Par là, le nombre des électeurs s’était trouvé porté d’un coup à près de vingt-deux millions d’inscrits, qui font le corps électoral le plus gigantesque qu’on ait jamais connu.
Lorsque, chez nous, il y a soixante-dix ans, les électeurs passèrent de 240 000 environ à environ 8 millions, se multipliant en un jour trente-deux ou trente-trois fois par eux-mêmes, l’État en fut violemment et profondément secoué : son équilibre fut déplacé, sinon détruit ou rompu. Rien de pareil dans les élections anglaises du 14 décembre. On ne se souvient pas d’en avoir vu de plus calmes, de plus correctes, et en quelque manière de plus conservatrices. Il est vrai que, des 22 millions d’électeurs inscrits, la moitié à peine a participé effectivement au scrutin. Sont-ce les voix des soldats retenus sur le continent qui ont manqué ? Sont-ce des électeurs tout frais qui n’ont eu guère de souci du présent royal qu’on leur avait fait ? Ou, au contraire, sont-ce d’anciens électeurs blessés de n’avoir plus qu’à exercer un droit au lieu de jouir d’un privilège ? Seraient-ce les