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dire serait qu’on n’aperçoit pas de raisons de la croire affaiblie.

Mais l’article de la Rothe Fahne, dans les lignes qui font suite à celles que nous avons citées, pose la question comme elle doit être posée, comme elle se pose réellement : « Il nous faut, ajoute-t-il, poursuivre l’œuvre commencée. Les soixante-dix victimes de la contre-révolution ne doivent pas être tombées en vain. Il faut armer le peuple : la formation d’une garde rouge est une nécessité urgente. » Cela n’est pas vrai uniquement de Liebknecht et du groupe Spartacus. Cela est vrai aussi, au même degré, à un degré plus haut encore, du Directoire d’Ebert et de Scheidemann, du gouvernement, puisque les voilà face à face, Spartacus et lui, et qu’ils se disputent non seulement la Chancellerie d’Empire, non seulement la salle du Landtag prussien, mais la rue. Les minoritaires, les indépendants, qui errent d’un camp à l’autre, transfuges de l’un, repoussés par l’autre, ne forment, dans l’intervalle, qu’un tampon. Pour parler à l’allemande, la question est devenue entre eux, un Machtfrage, une question de force. Au lendemain du jour où légalement, parlementairement, le Directoire était consolidé, il provoquait une manifestation du peuple de la capitale, à laquelle, naturellement, Liebknecht ripostait par une contre-manifestation, à moins que ce ne fût le cortège majoritaire qui répondît, en contre-manifestation, à la manifestation de Liebknecht. Les deux cortèges ne se rencontrèrent pas ou ne se heurtèrent que par leurs avant-gardes et leurs serre-files. Il n’y eut que peu de mal. Mais c’est jouer avec le .feu. Dès qu’on se met à jouer ce jeu-là, il faut être prêt à le jouer à fond.

Visiblement, ostensiblement, les deux partis font leurs préparatifs. Liebknecht et Spartacus appuyés sur les marins, sur les soldats débandés, sur des chômeurs ou des grévistes, toute sorte d’éléments troubles, avec les conseils et le concours de bolchevistes russes, Radek et autres, dont la présence à Berlin est connue et tolérée, dont l’action n’est entravée que mollement. De leur côté, Ebert, Scheidemann, le Directoire, appellent ou rappellent dans la ville et dans ses faubourgs les troupes les plus sûres, les régiments où la discipline, l’esprit de corps, sont le moins atteints, notamment la cavalerie de l’ancienne garde. Hindenburg leur aurait ainsi fourni une centaine de mille hommes. Ils rentrent sous les applaudissements, le casque d’acier couronné de feuilles de chêne, les fusils fleuris, mitrailleuses enguirlandées.

Les bourgeois qui les saluent de leurs « hoch ! » gutturaux n’exhalent pas simplement le soupir de l’orgueil allemand irrité, mais