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coupée par les fifres et tambours de la retraite allemande ? J’ai conté la chose ici même et redit en 1912 son mot : « Vous ne pouvez pas mesurer ma tristesse, mon ami, me disait-il en pesant très fort sur mon bras, parce que vous ne savez pas comme je suis mal. Vous, vous entendrez les clairons français à Metz ; moi pas. » Et j’ai une pensée pour le grand historien, le chaud patriote, l’ami de Déroulède ; j’évoque sa belle tête pâle dans sa barbe blanche, ses yeux fins et, ce soir-là, si tristes, si tristes ! « Vous entendrez les clairons français à Metz ! » C’est fait, maître, et vous étiez là, puisque j’ai voulu que votre souvenir m’y accompagnât.

Le général de Maud’huy, le maréchal parti, s’était rendu au gouvernement militaire. Le palais est celui des anciens gouverneurs français : on y a vu passer Canrobert, Mac Mahon, et, pour notre malheur, Bazaine. Maud’huy, Messin par tous les bouts, y est venu, lieutenant, capitaine, faire viser sa permission dans les bureaux du maréchal von Haeseler. Mais lorsqu’on pénètre dans les salons, on voit que là comme ailleurs la France est restée. Un grand portrait de Napoléon III, assez beau pour une toile officielle, remplit presque un panneau. Le général de Maud’huy se campa devant Napoléon III et alluma sa pipe, le général, de son propre aveu, ne pensant que lorsqu’il fume. Et le tabac de France n’était pas de trop en l’occurrence ; le simili-soviet de Metz, installé un instant dans le palais, y avait — l’Arbeiter und Soldaten Rath étant composé d’incorrigibles Allemands, — laissé de ces souvenirs malodorants qui, je le crains bien, passeront des traditions de l’Empire germanique aux institutions de la République allemande. Et ayant pris sommairement possession, Maud’huy, heureux comme un prince — et d’ailleurs prince en cette principauté d’élection — était allé ensuite installer le commissaire de la République en ses fonctions. Les honneurs furent rendus, la Marseillaise jouée, et M. Mirman fit un petit discours comme il les aime, où il y a de la bonhomie, de la diplomatie et un brin de romantisme à la 48. « Embrassez-vous, maires de Metz et de Nancy ! » avait-il dit à MM. Iung et Simon ; et, à ses collaborateurs, il avait exposé son programme qu’il résumait ainsi : « En deux mots, mes enfants, vous allez administrer avec toute votre tête et tout