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tiennent, au total, qu’une place fort restreinte, et les détails familiers, les impressions de nature, les considérations générales, les exhortations et les conseils de spiritualité s’y rencontrent avec une bien plus large abondance. Même les choses de l’amitié y sont à chaque instant interprétées et comme épurées dans un sens religieux. « Oui, écrivait-il un jour, je sais que vous avez pour moi une véritable affection, et cette affection m’est chère, parce qu’elle vient de Dieu et se rapporte à Dieu. Ce n’est point une amitié du temps, je n’en voudrais pas ; tout ce qui finit m’est importun ; c’est un attachement plus élevé et dès lors plus durable ; c’est comme un commencement de cette douce et immense charité qui doit unir à jamais les enfants de Dieu dans le ciel[1]. » À lire dans son ensemble la correspondance de Lamennais à Mme Cottu, on n’y rencontre rien qui inflige à cette haute conception de l’amitié chrétienne un démenti formel[2].

D’autres faits conduisent à la même conclusion. On observera tout d’abord, que Lamennais ne s’est pas constitué, — comme il eût été pourtant trop naturel, s’il s’était mêlé à son amitié un sentiment plus tendre, — le confesseur et le directeur de Mme de Lacan ; il a délégué à cette fonction un excellent prêtre, l’abbé Desjardins. En second lieu, quand Mme de Lacan se remaria, on ne voit pas qu’il ait éprouvé à l’égard du baron Cottu ces classiques sentiments de jalousie qui sont l’accompagnement obligatoire des passions ombrageuses et exclusives. Pour prétendre le contraire, il faut, si je ne me trompe, lire les textes avec une idée préconçue, et les « solliciter » assez fortement. Par exemple, nous avons quelques lettres de Lamennais se rapportant aux difficultés qui faillirent compromettre ce second mariage. La famille de M. Cottu s’y montra d’abord opposée, et comme Mme de Lacan n’avait qu’une modeste fortune, on lui prêta des vues intéressées. Indignée de pareilles calomnies, la pauvre femme revint sur sa parole. Lamennais l’en approuve et lui prodigue les consolations religieuses : « Votre conduite a été belle et noble ; elle

  1. Lettres à la baronne. Cottu, p. 77.
  2. Pour être tout à fait exact et scrupuleux, il faut noter qu’un certain nombre de passages des lettres de Lamennais ont été biffés. Pour quelle raison ? Nous l’ignorons. Mais il va sans dire que nos interprétations et conjectures ne s’appliquent qu’aux textes qui nous ont été livrés.