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L’Histoire de M. Pierre de La Gorce procède ainsi, à merveille. Les plans se distinguent, les masses. Approchez-vous, comme il a fait lui-même : et, dans les masses, découvrez les individus, les plus humbles, cachés, les plus analogues à des parcelles, mais à des parcelles vivantes, à des parcelles d’organes et à des parcelles sensibles et indispensables.

Le 21 nivôse an II, un représentant, Blutel, étant de congé, visite une petite commune, Magny-la-Freule, dans le Calvados. Le 21 nivôse, on fêtait la reprise de Toulon. Les paysans accueillirent le représentant, lui chantèrent la Marseillaise et plantèrent un arbre de la liberté. Puis un cortège se forma, Blutel en tête. Blutel conduisait le cortège : mais ce sont toujours les cortèges qui vous conduisent ; les meneurs sont toujours menés. « Non loin de là, à travers les arbres dépouillés, le clocher émergeait. Justement, l’église n’avait point encore été fermée ; et l’on ne pouvait douter que la foule ne s’orientât de ce côté... » Blutel ne s’attendait pas d’être mené à l’église. Que faire ? S’il protesta un peu, il savait bien qu’étant le chef, et autant dire un contre tous, il n’avait qu’à se résigner. Il écrit un peu plus tard : « Je ne crus pas devoir fronder cette opinion. Mais je profitai de la circonstance pour tonner contre le fanatisme et dépeindre les atrocités commises par les Vendéens. » C’est la revanche de Blutel : l’éloquence est la consolation des politiciens. « Les campagnards écoutèrent, en gens qui savent que les harangues les plus courtes sont celles qu’on n’interrompt pas. Quand le représentant eut parlé, tout à son aise, ils reprirent leurs rangs ; et, en vrais Normands, doucement têtus, ne contestant rien, n’abandonnant rien non plus, ils se rangèrent dans le sanctuaire. Là, ils entonnèrent le Te Deum. Puis, ayant accompli leur programme, ils se rassemblèrent en un banquet ; et, toujours en bons Normands qui ne se soucient pas plus de se compromettre avec l’État qu’avec l’Église, ils crièrent vive la République ! autant qu’on le voulut. » L’église n’avait pas cessé d’être, dans le village, le centre de la vie commune : et l’on s’y rend et pour les deuils et pour les joies. Et l’on y chante le Te Deum devant le représentant Blutel.

Mais, si le représentant Blutel tonne contre le fanatisme, on n’est pas bête et l’on entend que, le fanatisme, c’est la religion. Pas un instant on n’a l’idée de faire à ce représentant Blutel un mauvais parti. Lâcheté ? Non : car on lui chante au nez le Te Deum. Le principal est que les idées s’embrouillent, dans ces pauvres cervelles : on ne sait plus. Cet embrouillement, le voilà chez les Normands de