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éclairé d’un soleil radieux, pour aller voir entrer le général rêvé à la tête des plus magnifiques troupes au milieu d’un enthousiasme dont je présumais bien qu’après ces jours d’attente, il se pourrait bien élever jusqu’au délire. Ainsi vivait-on en ces jours où un bon génie écoutait nos vœux de tous les temps et les réalisait sans en oublier un.

Une entrée à Strasbourg I J’en avais vu une, un jour d’août 1908 et j’en rêvais, tandis que je courais vers la ville reconquise.

Guillaume II, — était-ce après quelques grandes manœuvres, je ne sais, — entendit faire en ce temps-là une entrée ultra-solennelle en « sa bonne ville. » Elle se fit sous mes yeux étonnés ; l’Empereur débarqua de son train et monta à cheval dans la cour de la gare pour gagner par l’itinéraire classique, — à peu près celui que j’allais voir suivre à nos troupes, — le Palais Impérial. Il était dans ce grand costume où son esprit, par tout un côté puéril en son cabotinage, se complaisait parce que s’y mariaient les pièces étincelantes de diverses tenues : celle d’un maréchal prussien, celle d’un chevalier teutonique, celle d’un empereur féodal, celle d’un Lohengrin de grand style : le casque d’or cimé de l’aigle aux ailes déployées, la tunique couverte de plaques de diamants, de rubans, de croix et de médailles, le bâton semé d’aigles sur la cuisse, le cheval royalement caparaçonné, les étriers d’or et, sous le casque-diadème qui semblait menacer le ciel, cet air fatidique, impérieux et comme perdu dans la nue qui était aussi parfaitement affecté que la bonhomie bavarde dont il usait en certains entretiens. Derrière lui, et comme lui à cheval, ce qui était, à mon sens, parure de meilleur aloi et ne manquait point de majesté, ses cinq fils dans tous les uniformes des armées de terre et de mer, et dans un landau l’impératrice Augusta-Victoria entourée de ses fille et belle-fille. Tout autour, l’appareil d’une belle armée et d’une cour qui allait des généraux à panaches blancs aux valets en livrée dorée. Rien ne me refroidit plus qu’un costume ridicule, et celui de cet empereur l’était à mes yeux extrêmement, mais je ne pouvais être refroidi, n’étant, on le pense, en rien échauffé ; seulement, les peuples aiment communément le « grand costume, » d’où la popularité que Franconi a connue ; d’autre part, je répète que ces cinq princes, médiocres individuellement, mais représentants d’une dynastie dont l’avenir paraissait si brillant, avaient quelque allure