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On entre à Strasbourg, en venant de Molsheim, par un assez long faubourg précédant la porte de Schirmeck. Nous n’avions pas atteint la porte même que mes compagnons et moi étions fixés sur le spectacle, — malgré nos prévisions les plus favorables, — inattendu dont nous allions si pleinement jouir. Sous le soleil déjà brillant de neuf heures, la population revêtait un caractère extrêmement pittoresque : il était constant que la partie féminine de cette population avait entendu primer, par le nombre et l’éclat des costumes, tout ce que nous avions pu voir auparavant : j’estime à dix mille le nombre des « Alsaciennes » qui ce jour-là couvraient les trottoirs de Strasbourg, mais là n’était point l’intérêt essentiel, ni dans le nombre des vétérans à rubans vert et noir qui formaient un beau bataillon, ni dans la cohue des bannières qui déjà se montraient, ni même dans un pavoisement à la vérité magnifique, mais qui n’éclipsait point celui de Mulhouse ni même, toute proportion gardée, celui de Saverne. L’intérêt était dans la surexcitation incroyable de la foule, car à peine notre voiture engagée dans la haie du public qui attendait le général Gouraud et ses troupes, nous recueillîmes les témoignages d’une émotion qui reste indescriptible. Les cris se confondaient, devant de si modestes officiers, en une clameur si continue que celle-ci semblait uniforme, et lorsque nous mîmes pied à terre sur la place Kléber, nous pûmes nous persuader que nous étions en face d’un phénomène aussi écrasant qu’un ouragan déchaîné et que l’éruption, par mille cratères à la fois, d’un formidable volcan. Positivement, le soi tremblait sous nos pas.

Strasbourg « espérait » depuis une semaine et plus les Français dans une fermentation difficile, me dit-on, à imaginer. J’ai dit comment, sans même attendre que fût signé l’armistice, une agitation nettement favorable à la France s’était produite : il avait suffi que l’armistice fut proposé : nul n’avait mis en doute dès le 9 le retour à la Mère-Patrie. Les tentatives de ce pauvre Schwander, — nommé statthalter in extremis, — pour amener l’Alsace à l’autonomie, celles de M. Boehle, député socialiste (Allemand) de Strasbourg, pour faire proclamer l’indépendance, probablement de connivence avec le gouvernement allemand, les menées du sergent Rebholz,