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Ç’avait été sur la place une stupeur joyeuse, puis un remous terrible : à grand’peine la petite troupe bleu horizon s’était frayé un passage. Arrivé devant la statue, le capitaine Muller avait aligné sa troupe, salué du sabre Kléber et fait présenter les armes au bronze : minute solennelle : devant le grand soldat de la Révolution, pour la première fois depuis près d’un demi-siècle, des baïonnettes françaises scintillaient. Les braves Bretons du 25e de ligne avaient alors occupé le poste et dans la journée, avant-garde de l’armée Gouraud, le 25e tout entier et le 12e hussards étaient, par petits paquets, entrés dans la ville et avaient occupé les postes ; aucune solennité excessive : le colonel Bordeux, du 25e, avait été, en quelques mots, salué par un des patriotes alsaciens, Fritz Kieffer, tandis que, l’écharpe tricolore sur l’habit, le préfet de police provisoire Jules Lévy s’en était venu régler avec le colonel les détails de l’occupation. La foule, presque ahurie à force, d’être satisfaite, assaillit officiers et soldats souriants et cordiaux.

Mais la masse de la population n’avait appris que dans la soirée l’arrivée inopinée de cette grosse avant-garde, et n’ayant pu acclamer les premiers soldats de France entrés si subitement, s’était, dès l’aube du 22, portée dans les rues : lorsque nous arrivions nous-mêmes, précédant d’une heure le général Gouraud, nous la trouvions tourbillonnant de la place ci-devant impériale, où, disait-on, Gouraud assisterait au défilé de ses troupes, à la place Kleber où, évidemment, il voudrait saluer la statue, et du Broglie, — qu’on n’appellerait plus Broglieplatz, — aux rives de l’Ill, puis, sur les indications que donnaient les soldats du 25e formant haie, refluant vers la porte de Schirmeck par où évidemment entrerait le vainqueur du 15 juillet.

Les abords de la porte présentaient, quand j’y arrivai, l’aspect le plus chatoyant ; car le bruit, mal fondé, que là aurait lieu la réception du général par le corps municipal, y avait attiré, avec les vétérans formant une belle masse de vieux Alsaciens chenus, avec les pompiers groupés autour de leur bannière, avec des étudiants arborant fièrement le béret des Universités de France, avec une masse de délégations enrubannées de tricolore, ce que je n’ose plus appeler des groupes, mais ce qu’il faut appeler une foule presque compacte de papillons