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ou de kaki vêtus, des Alsaciennes en tenue classique, des centaines de gens enrubannés de tricolore mettaient sur le gris morne de la pierre une note que Guillaume II n’avait sans doute point rêvée, pas plus sans doute qu’il n’avait prévu que les hérauts germains de bronze lèveraient si haut en leurs mains réunies cet énorme pavillon -tricolore qui, sur le ciel bleu, prenait-une allure victorieuse, — et ironique.

La place, à l’arrivée de Gouraud, se souleva comme une mer en furie : de l’Université jusqu’au Palais, elle boulait depuis une heure dans l’attente ; lorsque les premiers cuivres, de loin, s’entendirent, elle se démonta, d’autant que la cascade des acclamations jaillissant et descendant du palais venait en quelque sorte alimenter cet océan. Sur le socle de la statue de « l’inoubliable grand-père, » dont les débris gisaient à terre, des jeunes gens agitaient sans se lasser des drapeaux tricolores.

Gouraud, devant le palais impérial, regarda défiler les deux belles divisions Desvoyes et Chauvet. Chaque drapeau s’allant placer, le corps passé, derrière le général, sa silhouette se détacha bientôt sur un fond de soie tricolore formant autour de cette physionomie de soldat comme une auréole naturelle.

Le grand chef, gagné par l’émotion, augmentait de la sienne, très visible, celle de la foule, et lorsque, après avoir embrassé les drapeaux, il gagna, le défilé terminé, le perron du palais, une folle acclamation s’éleva derechef. Alors un tribun s’avança, Fritz Kieffer, dont la voix s’éleva, disant la joie de ce peuple en délire et le merci des Français libérés aux soldats libérateurs ; ce qu’il dit, peu l’entendaient, mais, voyant le haut commissaire et le général lui-même essuyer leurs yeux d’un doigt nerveux, la foule en conclut que les cœurs se dilataient ; une nouvelle vague d’émotion parcourut l’immense place, et tandis que des dames de la Croix-Rouge apportaient au général le drapeau de soie pâlie qui avait figuré aux obsèques de Kléber, la Marseillaise éclata.

En ce Strasbourg où, pour la première fois, il a jailli du cœur d’un soldat inspiré, l’Hymne à l’armée du Rhin prend sa plus belle allure, — et il empruntait un prestige de plus à ce que, né à Strasbourg, il était dans Strasbourg, depuis un demi-siècle, proscrit. La minute où, pour la première fois, il s’élevait, en un mode exaltant où les larmes se mêlaient