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reculé, toutes fenêtres et portes closes, les Allemands de Strasbourg désespérés.

Les soldats suivaient, aussi acclamés que les grands chefs. « Réception triomphale, écrit l’un d’eux, les paquets de cigarettes pleuvaient des fenêtres, — et les fleurs. » « En arrivant à la porte de la ville, écrit un autre, la musique a joué la Marseillaise. Aussitôt de toutes parts s’élève un immense cri de Vive la France ! Quand le drapeau passa, ce fut bien pis (sic) : jusqu’à ce moment on avait pu marcher en ordre, mais la foule suivant de toutes parts, impossible de marcher ; nous étions portés ; le général fut porté en triomphe jusqu’à la place. » Le fait est que, la haie sans cesse ébréchée, le cortège s’était bigarré : les vétérans, les pompiers y avaient pris des places, puis de jeunes Alsaciens qui, à cheval, étaient venus, dans un nuage de rubans tricolores, saluer d’un ample geste de leurs grands feutres noirs le général devant la porte ; enfin et surtout les groupes d’Alsaciennes qui maintenant, formant des bataillons réguliers et charmants, marchaient au pas de Sambre-et-Meuse et de la Marche Lorraine. Quelques-unes, plus hardies encore, avaient emporté d’assaut une pièce de 155, qui, à la vérité, portait l’étiquette Alsace, puis, encouragées par les rires des conducteurs, escaladé dix autres canons et, soulevant des acclamations joyeuses, traversaient la ville assises sur le bronze.

Le palais impérial de Strasbourg est une bâtisse affreuse dont le style composite et les allures ambitieuses trahissent l’esprit d’un règne. Dominant la place de l’Empereur, que bordent les autres palais du régime, il tient de la caserne, du chalet, du grand magasin de nouveautés et de la demeure d’un burgrave ; il est par là le symbole de l’Empire. Sur son faîte, des hérauts de bronze, de style germanique, tenaient, lorsque l’Empereur était là, le drapeau à l’aigle noir. Un jour dans une boutade dont j’admirai l’esprit, Anselme Laugel m’avait dit, — notez que c’était en 1912 : — « Je ne sais trop ce que vous pourrez en faire. »

Pour le moment, on en avait fait une tribune magnifique pour regarder passer des soldats de France : des marches du perron où attendait, debout, le nouveau haut commissaire de la République, M. Maringer, entouré de notabilités locales, à toutes les fenêtres, tous les balcons, toutes les corniches, le palais impérial regorgeait de monde : des officiers tout de bleu