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c’était comme un écho des sables d’Afrique, et quelques vétérans alsaciens la saluèrent avec des larmes, comme s’élevant du lointain passé des gloires algériennes. Les jaunes eurent un amusant succès de bizarrerie, mais les pépères de la territoriale soulevèrent un grand concert de sympathies cordiales ; de quelques-uns, corpulents, grisonnants et d’ailleurs en belle forme, quelqu’un disait : « Ils sont trop ressemblants : on les a choisis. » Les tracteurs énormes, défilant avec une majesté redoutable, et les chars d’assaut, petits monstres animés d’une vie mystérieuse et anonyme, furent cependant peut-être les plus acclamés. Une jeune fille à papillon cria fort spirituellement : « Voilà nos libérateurs ! » Mais je ne sais pas de corps, et particulièrement point de drapeau, qui n’ait recueilli sa part des acclamations parfois rugissantes qui, à certains moments, remplissaient la vaste place. Et l’acclamation se fit transport quand, les derniers hussards passés, Gouraud s’avançant, l’épée à la main, pour venir saluer le Maréchal, celui-ci, lui tendant les bras, le serra longuement, fortement sur sa poitrine. Quel groupe ! Deux grands soldats s’étreignent devant le palais de cet Empereur qu’ils ont, avec ces autres grands soldats qui se tiennent à leurs côtés, Castelnau, Fayolle, Maistre, Debeney, Humbert, tous jeté bas.

Le Maréchal est, je le rappelais tout à l’heure, un ancien chasseur à pied ; il en a gardé le pas ferme et rapide, et l’on s’en aperçut aussitôt, car, dédaignant sa voiture, brusquement, il prit à pied le chemin de l’Hôtel de Ville, nous entraînant tous à une telle allure que nous y arrivâmes avant le maire et y pénétrâmes sans plus de cérémonie.

M. Peirottes nous y rejoignit quand déjà le maréchal avait paru au balcon, salué par une folle acclamation. Le maire de Strasbourg se fit derechef l’interprète de la joie d’un peuple fidèle devant la rentrée des frères libérateurs et l’orgueil qu’éprouvait la ville à voir dans ses murs le « sauveur de Verdun » : « Depuis les jours du printemps de 1916, alors que les flots d’assaut teutons se brisaient si piteusement devant les rochers de granit de la noble forteresse de la Meuse, le nom de Pétain s’est incrusté en lettres ineffaçables dans tous les cœurs alsaciens. » Le Maréchal, redressé encore par l’émotion, si pâle qu’il semblait de marbre dans sa grande capote bleu clair, prit la parole de cette voix un peu basse, mais