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voulaient bien, mais que nous devions en demander la permission à leurs parents. Nous y sommes allés. C’étaient de grands bourgeois. Ils nous ont répondu en souriant qu’ils voulaient bien. Nous avons donc mené ces jeunes filles au restaurant ; nous nous sommes beaucoup amusés, et c’est la première fois que j’ai compris ce que c’est qu’un amour chaste. Nous les aimions et nous les admirions comme des sœurs. »

Tel récit fera sourire des sceptiques ; il n’étonne point ceux qui ont vu ces jours singuliers. Que certains flirts n’aient pas été poussés plus loin, je n’en jurerai point. Mais il est certain que, tel soir émouvant de Strasbourg, j’ai vu de jeunes soldats et des demoiselles à papillon, qui, elles, cependant, ne paraissaient point filles de « grands bourgeois, » après une soirée entière de promenades bras dessus bras dessous, coupées de danses et assaisonnées de galants baisers, se quitter sur un ton fort décent : « Au revoir, mademoiselle, merci pour la bonne soirée. » Rien du bussard légendaire et de ses houssarderies. Et ailleurs des mariages promis, des bagues échangées. Ces fêtes s’enveloppent d’une atmosphère amoureuse : quoi d’étonnant à ce qu’en cette lune de miel générale, plus d’un jeune officier bleu, plus d’un petit papillon se soient taillé leur petite lune de miel particulière ? Mais, en fait, l’amour est répandu en de si grandes masses qu’il jaillit en sources rapides et imprévues. Les baisers pleuvaient ; à leurs adorateurs, ces jeunes filles réapprenaient les vieux airs de France, plus innocents que les nouveaux, airs roses et tendres, « à la mode de chez nous, » du chez nous d’autrefois. J’ai dit comment, à Metz, j’avais vu des petites Lorraines enseigner le Nous n’irons plus aux bois, de nos pères à de braves petits bleuets qui, certes, avaient « coupé les lauriers, » — et de taille. Tout cela garde un caractère si frais que c’est merveille. Honni soit qui mal y pense.

L’amour est généralement plus grave qui, de Metz à Mulhouse, de Saverne à Forbach, se déchaîne. C’est un amour mouillé de larmes. Ainsi, Israël saluait Sion au retour de Babylone. Lorsque, à Mulhouse, à Metz, à Strasbourg, j’entrai avec nos chefs, je vis les vieillards lever les mains pour bénir, les femmes rire au milieu des larmes. La note était donnée par les vétérans qui, traversés d’un frisson qui secouait leur vieille « impériale, » venaient à nous tout tremblants. « Comme je causais avec un bon vieux retraité de 70, écrit un de nos hommes,