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bien des heures, pendant vingt ans. Je m’accorde un jour de vacances.

Certes je ne renie aucune recherche d’histoire ni de critique. Les vers italiens de Pétrarque en sont, comme tout le reste de ses œuvres, un sujet interminable. Un poète du passé doit être l’objet d’études savantes. Qui en doute ? D’abord il faut le situer dans la généalogie des poètes, et le juger par comparaison. L’art de Pétrarque, sa forme, le sujet qu’il chante, sont la suite d’une longue évolution, à travers les siècles. La poésie amoureuse a des sentiments, des images, des mots, et, si je puis dire, des mœurs et des usages, qui se sont répétés sans cesse depuis l’antiquité romaine. Pétrarque, en son temps et à son tour, a eu l’usage de ce matériel poétique. Je vous assure que la recherche de toutes ces racines-là n’est pas un mince travail, ni toujours plaisant, quoique utile.

L’érudition aurait encore, et ceci est plus plaisant, à vous tracer le fond de tableau de la poésie pétrarquesque, le paysage, si vous voulez ; et quel paysage ! Avignon et la cour pontificale, le monde féodal, ecclésiastique, qui vivait alentour, et que le poète a si fort maudit. Pour les pénétrer à fond, il y a encore beaucoup à faire (par endroits presque tout). Si l’histoire du Comtat, de ses seigneurs, de ses châteaux était mieux découverte [1], que d’énigmes dont nous posséderions la clef ! Nous saurions tous les mystères de ce que l’on appelle la « géographie vauclusienne. » Nous connaîtrions peut-être Madame Laure, son village, les ruines de sa maison !

Je laisse ces questions captivantes, et je ne pose pas même un point d’interrogation. Que Madame Laure fût l’épouse de Hugues de Sade, comme l’abbé de Sade l’a ingénieusement soutenu pour la gloire de sa famille, ou bien qu’elle fût toute autre dame, cela importe fort à l’histoire, point à la poésie lyrique. Sachons seulement que Madame Laure a existé et que la dame aimée de Pétrarque fut une réalité, et non une ombre. Nous avons sur elle, sa vie, sa beauté, sa vertu, — ses multiples maternités ! — le témoignage de Pétrarque même, très précis et incontestable.

  1. Elle le serait, si une mort héroïque ne nous avait dérobé un rare jeune travailleur, aussi savant qu’artiste, Robert André-Michel. Ses premiers travaux du moins vont être bientôt réunis.
    Il faut rappeler les beaux résultats déjà obtenus par l’éminent érudit italien F. Flamini.