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Je me contente de ce renseignement.

Poserai-je d’autres questions, celle-ci par exemple, familière aux pétrarcologues, et que j’ai moi-même discutée jadis : Est-il parlé dans les vers de Pétrarque d’une seule dame ou de plusieurs ? Que nous importe poétiquement ? Quand on lit Lamartine avec ses savants commentateurs, on a vile fait de voir qu’il y a, en fait, plusieurs dames dans les Méditations. Mais il n’y a qu’une Elvire ! Et il n’y a qu’une Laure ! Il n’y a qu’une dame poétique.


J’ai servi pour Rachel et non pas pour Lia !


III

Pétrarque est un poète lyrique. Il est lui-même le sujet de sa poésie. Il a conçu de sa destinée une image poétique, qui lui représente la vérité et l’unité de sa vie morale. Et il l’a exprimée en vers inspirés. Les accidents complexes et agités de sa vie ont tous leur place dans ses poèmes ; mais il a, si j’ose dire, tout centralisé en une seule histoire sentimentale. On découvre, en lisant, toute la suite de cette histoire, — dirons-nous : de ce roman, au sens d’aujourd’hui ? A peu près. Lamartine a dit : « Le roman d’une grande âme. » En construisant ce « roman , » Pétrarque ne faisait assurément que se conformer à une tradition « les poètes ses prédécesseurs.

Cette histoire est-elle absolument conforme à la réalité des choses ? C’est encore là un sujet de discussion érudite. Pareille enquête est le supplice posthume qui attend tout poète lyrique, et dont les autres poètes ont moins à souffrir. Le lyrique prétendant tout dire, il est naturel que l’érudition veuille reconnaitre s’il a vraiment tout dit. Elle a besoin de savoir, et elle finit par savoir. Ce qu’elle sait a son intérêt, mais n’a rien à voir avec la beauté poétique. Le vrai poète lyrique se crée un monde où il se meut, libre et sincère. Pour lui ce monde est le seul vrai : il est la vérité même.

C’est Platon qui jadis a enseigné cela, dans un merveilleux discours [1], dont j’ai le bonheur de pouvoir citer quelques lignes, grâce à M. Paul Girard, qui m’a fait l’amitié de les traduire

  1. Dans l’Ion. — La comtesse de Noailles y a pris l’épigraphe d’un de ses livres.