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Il ne songe d’abord qu’à célébrer cette beauté. C’est le premier devoir du poète amoureux. Il doit élever par ses louanges sa Dame au-dessus de toutes les autres :


Plus je vois chaque dame être moins belle qu’Elle,
et plus croît le désir qui m’énamoure !


Il lui doit avant tout un hommage d’âme, car l’amour a pour premier effet de pousser les amants vers l’honneur et la gloire. Nous ne sommes pas loin des jours de la chevalerie. L’amant fête comme par un culte la naissance de sa flamme :


O mon cœur, lu dois bien rendre grâce,
toi qui fus jugé digne, alors, d’un tel honneur !


Tout bien lui vient de sa dame et tout d’abord cette « grâce généreuse, » qui le pousse au ciel, « par un droit sentier. » — Il marche, plein de son amour, « fier de son espérance. »

Pour justifier cette espérance et cet honneur, il voudra s’ingénier à peindre point par point la beauté unique de Madame. C’est là qu’il se révèle poète et peintre, incroyablement. Car il faut un grand art pour donner quelque individualité à la description de la beauté féminine. On a souvent remarqué combien aisément elle tombe dans les redites et la banalité. Ces traits, ces yeux, cette bouche, ces cheveux, ces membres harmonieux, dont la vue à travers tous les âges a enivré l’âme de l’homme, ils supportent mal la description. Quand on en a lu une, il semble qu’on en lit une autre, et il faut bien l’avouer. Mais Pétrarque ne décrit pas ainsi.

De la beauté il ne nous laisse ignorer aucun trait. Il les a décrits un à un. Pour vanter les yeux seulement, outre des vers épars çà et là par centaines, il a écrit spécialement trois Chansons, qui sont ravissantes. Nous avons toutes les précisions : Madame avait des yeux d’ébène, dans un visage de lis et de perle, sous des cheveux d’or, ce qui est un assemblage assez rare. Mais le poète nous a laissé autre chose et mieux qu’un signalement poétique ; il a donné la vie. C’est là le secret de son art infini : il exprime le mouvement. Laure n’est pas une statue. Ce qu’il aime dans ses yeux, ce n’est pas une fixe étoile, c’est le tour et le retour du regard :


Ma gentille dame, je vois,
quand se meuvent vos yeux, une douce lumière.