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Le poète la suit, et l’approche assez près pour lire la devise écrite en pierres fines sur son collier : « Nul ne me touche !... »


Et le soleil était tourné sur le midi,
mes yeux las d’admirer, mais non rassasiés,
quand je tombai dans l’eau. Et elle disparut.

Ceci se passe à Vaucluse déjà, et la fontaine est proche. Mais pourquoi cette vision, la longue extase et la noyade fictive ? L’allégorie fut-elle suggérée par quelque circonstance réelle que nous ignorons ? J’en serais plus sûr pour celle qui fait le sujet du madrigal qu’on va lire. Un certain jour très chaud d’un été provençal, Madame Laure mit-elle ses bras à l’eau dans un ruisseau, et, sans façon, lava-t-elle son voile de lin ? Pourquoi pas ? C’est une châtelaine campagnarde, et nous l’avons déjà vue nu-pieds dans l’herbe. Mais le jour où il la surprit à l’ouvrage, le poète a vu la belle lavandière, comme Actéon jadis a vu Diane.


Non plus à son amant Diane ne sut plaire,
— lorsque, par aventure, toute nue
il la vit, au milieu des eaux glacées, —
qu’à moi la pastourelle montagnarde et cruelle.
occupée à laver un voile joliet,
qui défendra de l’aure les cheveux doux et blonds.
Aussi elle m’a fait, tandis que le ciel brûle,
tout trembler d’un gel amoureux !


Le poète tourne ainsi en allégories les scènes les plus réelles, épisodes de la vie de ville et de campagne dans le monde élégant et le cercle lettré d’Avignon. Les dames, amies de Laure, y jouent un grand rôle. Un jour, sur la Sorgue, une grande barque portait treize dames, et parmi elles, Laure. Les dames débarquées sont montées ensuite dans quelque grand chariot rustique, où Laure chanta. Cette vue jettera le poète dans un enthousiasme mythologique, où il mêlera les noms des fameux navigateurs de jadis, Jason et Paris, et le cocher d’Achille, Automédon, et le pilote des Argonautes. Voici le bateau :


Douze dames, noblement langoureuses
ou plutôt douze étoiles, et, au centre, un soleil !
— Je les ai vues, joyeuses, seules, dans une barque,
dont ne sais si pareille a jamais fendu l’onde.