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X

Cette flamme, qui consume tout, mène aux images de ruine et de mort. Dans la Chanson même des « claires, fraîches et douces eaux, » nous apparaissent déjà les funèbres pensées ; et nous voyons que la vallée close du Comtat est déjà, comme sera le Vallon de Lamartine,


Un asile d’un jour pour attendre la mort !


L’amour de Pétrarque n’est pas le sentiment factice que l’on rencontre souvent dans la poésie amoureuse, l’usuelle plainte courtoise. C’est une passion qui possède tout l’être. C’est l’amour vaincu. C’est le désir ardent, l’élan de l’âme, des sens, de la vie vers un bonheur impossible. Le seul résultat, c’est la douleur, une douleur sans cesse renouvelée, puisque, dans cet état, le bonheur d’aimer ne peut consister qu’en joies fugitives, dérobées, en espoirs courts que la raison dément. L’état normal de cette vie, c’est la séparation des amants.

La séparation, c’est le sujet poignant des poèmes que Pétrarque écrivait à l’occasion de ses voyages. Il fut, comme on sait, un grand voyageur, en France, en Italie, en Germanie, aux Pays-Bas. Partout où il va, Laure est avec lui. Il l’évoque partout et partout elle apparaît. Un jour il la reconnaît, et même, avec elle, les dames de sa compagnie, dans la Forêt des Ardennes, dont il traverse seul les sombres et redoutables halliers. Il marche et, en marchant, il chante. Que chante-t-il ? — « Ah ! mes pensers peu sages ! » — Jamais sa Dame ne peut être loin de lui. Au fond des taillis, des formes paraissent ; quoi ? des hêtres ? des pins ? Non, des Dames, et parmi elles. Madame ! Il écoute :


Je crois l’entendre, — j’entends les rameaux et l’aure,
et les branches se plaindre, et les oiseaux ; les sources
s’enfuir en murmurant sur l’herbe verte !


Un jour, à Lyon, voyant couler le Rhône en sa force précipitée, il parle au fleuve et lui donne un message : qu’il aille en Avignon, où la présence sacrée du soleil d’amour rend l’herbe plus verte et le ciel plus serein : il trouvera Madame et lui baisera le pied.