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Un autre jour, l’image est inverse. Un autre fleuve, aussi rapide, le Pô emporte le poète vers l’Occident, l’éloignant de ses amours. Mais l’esprit de l’amant, plus fort que le fleuve « orgueilleux et superbe, » s’envole en arrière :


Il force l’eau, le vent et la voile, et la rame.


Il nargue la divinité du fleuve. Son corps, et ce qu’il y a en lui de mortel, peut bien suivre par force le courant sans merci,


Mais le reste, couvert, de plumes amoureuses,
s’en retourne, en volant, vers le plus doux séjour !


Cependant, ses voyages sont l’image de l’infortune de sa vie et de l’impossibilité de ses désirs. Les vers des départs sont toujours douloureux. Il ne peut se décider à poursuivre sa route. A chaque pas, il se retourne :


Et, pensant au doux bien que je laisse en arrière,
à la route si longue, et si courte ma vie,
tout pâle et tout confus, j’arrête encor mes pieds,
et baisse vers le sol mes yeux mouillés de larmes.


Ce qu’il laisse en arrière, c’est bien toujours la fière et sévère beauté. Mais au moment des départs, il lui semble qu’elle se laisse un peu attendrir. Il y a de courtes minutes, où la haute vertu laisse germer intérieurement une pitié chaste et tendre. C’est un jour de départ que Pétrarque a vu,


cette pâleur charmante, par quoi le doux sourire,
comme d’un amoureux nuage, fut voilé.


Et il analyse ainsi cette pâleur charmante, quel vago impallidir, ce sourire voilé, ce silence :


Elle baissait à terre le beau regard gentil,
et, se taisant, disait (du moins il me semblait) :
« Oui donc éloigne ainsi de moi l’ami fidèle ? »


Et cependant, il partait !


XI

Autant que les pays lointains, Vaucluse connaît les peines de son cœur. Quand il est à Vaucluse, c’est pour fuir les humains, se plonger dans la nature, chercher la solitude. Bien