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Dahlia, Zéphine et Fantine), des ambitieux qui concertent peut-être des témérités inutiles pour sortir de l’obscurité... (Voilà les amis de l’A. B. C, Jean Prouvaire, Combeferre, Enjolras, qui tout à l’heure dresseront des barricades et ne réussiront qu’à se faire tuer.) II me semble alors que je vois autour de moi toutes les passions qui se promènent, et mon âme s’afflige et se trouble à la vue de ces infortunés, mais en même temps se plaît dans leur compagnie séditieuse. Je voudrais quelquefois aborder ces solitaires pour leur donner mes consolations ; mais ils craignent d’être arrachés à leurs pensées, et ils se détournent de moi... Je plains ces misères cachées... Il y aurait de la dureté à n’être pas touché de la faiblesse de tant d’hommes qui, sans les malheurs de leur vie, auraient pu chérir la vertu et achever leurs jours dans l’innocence.


Fantine n’est encore ici qu’une silhouette à peine distincte. Elle reparaît, plus aisément reconnaissable, dans Thyeste, et là, comme dans sa rencontre au poste de police avec M. Madeleine, elle va s’entendre adresser la parole qui console et qui absout :


Thyeste est né simple et naïf ; il aime la pure vertu, mais ne prend pas pour modèle la vertu d’un autre ; il connaît peu les règles de la probité, il la suit par tempérament. Lorsqu’il y a quelque loi de la morale qui ne s’accorde pas avec son sentiment, il la laisse à part et n’y pense point. S’il rencontre la nuit une de ces femmes qui épient les jeunes gens, Thyeste souffre qu’elle l’entretienne, et marche quelque temps à côté d’elle ; et comme elle se plaint de la nécessité qui détruit toutes les vertus et fait les opprobres du monde, il lui dit qu’après tout la pauvreté n’est point vice, quand on sait vivre sans nuire à personne ; et après l’avoir exhortée à une vie meilleure, ne se trouvant point d’argent parce qu’il est jeune, il lui donne sa montre, qui n’est plus à la mode et qui est un présent de sa mère. Ses camarades se moquent de lui et tournent en ridicule sa générosité ainsi placée ; mais il leur répond : « Mes amis vous riez de trop peu de chose. Je plains ces pauvres femmes d’être obligées de faire un tel métier pour vivre : le monde est rempli de misères qui serrent le cœur ; si on ne faisait de bien qu’à ceux qui le méritent, on n’en trouverait guère d’occasions. Il faut être humain, il faut être indulgent avec les faibles qui ont besoin de plus de support que les bons ; le désordre des malheureux est toujours le crime de la dureté des riches. »


Dirai-je après cela que Vauvenargues avait prévu et souhaité la Révolution ? Personne ne pouvait prévoir en 1747 des événements qui, au moment où ils se sont produits, ont étonné tout