Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/553

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’imagination ne réalise pas, surprenaient le regard dans cette immense monotonie qu’elles n’arrivaient pas à briser. Çà et là flamboyaient les enceintes carrées de terre rouge, où les sédentaires de la plaine s’abritent avec leurs troupeaux, — murailles lumineuses qui font de loin quelque illusion, mais qui ne sont pour la plupart que des masures détruites par les pillards ou dévastées par le temps, et que leurs hôtes ont quittées pour s’installer ailleurs, car on ne reconstruit jamais ces choses de boue qui s’effondrent.

Sur les tables des collines quelques cavaliers blancs et bleus surveillaient l’horizon. Au bord de la piste sablonneuse, qu’on avait tracée la nuit même, des équipes de Joyeux étaient encore occupées à raser les touffes d’alfa. A tout moment nous pensions découvrir, au détour de quelque gara, les troupes que nous venions chercher ; mais les gara succédaient aux gara, et on ne voyait toujours rien. Enfin, comme sur une image de Raffet ou de Dauzat, des lignes minces, régulières et silencieuses, rangées pour la parade, immobiles sous les armes, apparurent tout à coup, minuscules au pied des montagnes, dont les sommets étincelaient sous le soleil de midi. et l’impression d’étrangeté fut si forte de trouver là six mille hommes, dans cette solitude, perdue elle-même au milieu de tant de solitude, que nous fûmes saisis à leur vue comme si nous ne les avions pas attendus.


Maintenant la nuit est venue. Des deux côtés de la rivière profondément encaissée dans une coupure du plateau, brillent les feux d’alfa allumés parmi les tentes. De très loin, une grande lueur balaie par instants la plaine : c’est le projecteur d’Itzer, — un autre poste que l’on construit plus haut dans la vallée, un autre Timhadit, une enceinte de pierre au sommet dosa colline, une pensée qui veille et rayonne autour d’elle, .effroyablement perdue entre cette double barrière de montagnes, et qui, dès que la neige couvrira le chemin que nous avons parcouru, se trouvera pendant cinq mois isolée du reste du monde. Des trompettes et des cors de chasse sonnent de longues fanfares avant l’extinction des feux. Ces feux, les gens de la montagne les regardent briller ; ces fanfares, ils les entendent. A quoi pense-t-on sous les cèdres ?... Le Général va et vient devant sa tente. Sa haute et mince silhouette apparaît