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un instant dans la clarté d’un brasier pour se perdre aussitôt dans l’ombre. Et tandis qu’il se promène, à la fin de cette journée qui restera comme une date dans la conquête de l’Atlas, je songe (et peut-être lui-même y songe-t-il aussi en écoutant ces musiques) à cette autre journée de juillet 1914, où toute son œuvre au Maroc faillit être abandonnée.


Ce jour-là,. 29 juillet, un télégramme envoyé de Paris mit cette œuvre en plus grand danger que n’aurait pu le faire une révolte générale de toutes les tribus du Mogbreb. Dans le péril que créait la guerre désormais inévitable, le Gouvernement considérait qu’il nous était impossible de nous maintenir au Maroc. En conséquence, il ordonnait d’évacuer tout l’intérieur du pays, de renvoyer en France la moitié de nos troupes, de ramener le reste à la côte, de ne conserver que les ports et, si c’était possible, la communication avec l’Algérie par Rabat, Fez et Taza.

Quelle fut l’angoisse de cet homme dont je ne vois plus en ce moment que la cigarette allumée !... Obéir à un pareil ordre, c’était perdre d’un seul coup le fruit de dix années d’efforts et de sanglants sacrifices, livrer de nouveau à l’anarchie une contrée où nous avions établi une tranquillité qu’elle n’avait jamais connue, abandonner les ressources immenses que ce pays pouvait nous fournir dans la lutte qui commençait, renoncer enfin sans combattre à l’un des beaux enjeux de la guerre. Et ne pouvait-on craindre aussi qu’une révolte du Moghreb n’ébranlât l’Afrique du Nord, de l’Atlantique à l’Egypte ?... Sur toute l’étendue de l’Atlas, nous étions partout aux prises avec les tribus dissidentes. Quel renouveau d’ardeur et de force agressive allait donner à ces Berbères, déjà si âpres et acharnés, une retraite dont les émissaires allemands fixaient déjà le jour et l’heure ? Parmi les tribus soumises, les unes n’attendaient que l’occasion de reprendre les armes ; les autres, découragées par la vue de notre faiblesse, et pour se faire pardonner leur docilité ancienne, se retourneraient contre nous. Nos bataillons devraient s’ouvrir un passage, en combattant tous les jours, à travers trois cents kilomètres d’un pays révolté. Décimés par l’ennemi, épuisés par la chaleur écrasante, laissant des morts et des blessés en route, beaucoup de matériel aussi, dans quel état de délabrement arriveraient-ils à la côte ? Au lieu des belles