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troupes viennent de franchir, sur cette Haute Moulouya que les plus grands sultans du Maroc n’ont jamais réellement occupée, bien qu’ils se soient enorgueillis, dans leurs actes officiels, du titre de princes moulouyens. Quand nous reviendrons, au printemps, un pont sera jeté sur cette rivière si longtemps inaccessible, à l’endroit même où nous campons et qu’on nomme le Gué des Colombes. De tous côtés autour de nous, s’ouvrent des voies nouvelles, qui aujourd’hui ne sont encore que des chemins de ronde, mais qui demain seront des routes avec tout ce qu’une route apporte de force et de sécurité avec elle. Les tribus belliqueuses encore irréductibles sont chaque jour isolées davantage, séparées les unes des autres, cloisonnées, pour ainsi dire, dans le filet de nos colonnes, de nos chemins et de nos postes. Dès que la guerre sera finie en Europe, et que les derniers dissidents n’auront plus, pour les soutenir, les promesses, l’argent et les munitions de l’Allemagne, un dernier effort suffira pour faire tomber cette résistance berbère entamée de toutes parts.

Ô Doho ! ô Aïcha ! s’écrie la chanson des femmes, — L’homme au canon nous a vaincus ! — Il a établi son camp dans la vallée, — Et maintenant, il habile les plis de nos vêtements. — Qu’il est puissant, l’homme au képi, jeunes filles !

Cependant, le Général était rentré dans sa tente pour y travailler très tard, comme il en a l’habitude. Le projecteur d’Ilzer avait cessé de promener sur l’étendue d’alfa et sur les collines bizarres ses lents mouvements de lumière. Les feux de bivouac s’éteignaient. Dans la nuit, les dernières fanfares paraissaient déjà sonner l’hallali de la montagne.

Jérôme et Jean Tharaud.