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cathédrale. Deux magnifiques suisses, que gonfle l’orgueil de l’heure, encadrent deux charmantes Strasbourgeoises qui, leurs gerbes de fleurs dans les bras, rougissent de plaisir ; dans un demi-siècle, ces jeunes filles raconteront à leurs petits-enfants qu’elles ont embrassé le Président de la République devant le parvis. La place, en tout temps exquise, où se marient la vieille Alsace de la maison Kamaerzell et la belle France du XVIIIe siècle représentée par le palais des Rohan, la place semble éclairée par les drapeaux aux trois couleurs qui, même depuis ce 22 novembre où nous les vîmes foisonner, se sont encore multipliés. Et comme il y a quatre semaines à l’approche de Pétain, un murmure sourd court et grossit : « Ils arrivent ! » Les suisses soulèvent leurs hallebardes, les jeunes papillons s’élancent, les fleurs remplissent les bras du Président. Et le chef de l’État français entre dans la cathédrale de Strasbourg.

« La France sait avec quelle persévérance et, à certaines heures, avec quelle bravoure vous avez entretenu ici parmi les catholiques le feu sacré de la patrie. Nous ne l’avons pas oublié, nous ne l’oublierons jamais. » Plus même qu’à Metz, la voix du Président me parait s’élever, nette, claire et frémissante, sous ces voûtes solennelles. L’évêque Egon de Furstenberg n’en entendit pas tant du Roi Très Chrétien lui-même.


L’Alsace et la Lorraine, en ces heures merveilleuses, semblaient avoir épuisé les manifestations de leur tendresse... Elles n’avaient pas fini. Nous avions vu des cités se livrer dans un élan d’amour. Mais qu’une province entière soudain surgit devant nous, qui, réunie en une même place, offrit en une sorte de ruée, dans le même moment, son cœur débordant d’allégresse, quel magicien pouvait faire le miracle ?

L’Alsace possède un magicien. Déjà, bien avant la guerre, nous rappelions en souriant Cagliostro. Qui d’entre nous n’a, dès le premier abord, subi son charme singulier ? Figure étrange sur laquelle il est inutile que je mette ici un nom : ceux qui ont fréquenté l’Alsace l’ont déjà reconnu ; l’histoire connaîtra ce nom, lorsqu’elle s’occupera de l’Alsace d’avant-guerre, parce qu’elle le trouvera partout, derrière toutes les campagnes qui, de la cité opprimée, de la province écrasée, menaçaient d’ébranler le régime allemand et déjà le fêtaient.