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Séduisant à qui il sourit, redoutable à qui il avoué sa haine, remuant et secret, ce pouvoir de magicien, que nous lui attribuions en souriant, qu’était-ce, sinon l’alliance en un seul homme d’une riche intelligence, d’un cœur passionné et d’une volonté d’acier ? Cet homme, jeune encore, sans mandat, sans fortune, sans célébrité hors de sa province, bien avant 1914, alarmait l’Allemand jusqu’à le faire trembler ; entendant rester dans la place, il a été le prototype de cette jeunesse alsacienne qui, pour reconquérir l’Alsace, a secoué les vieux procédés de lutte et accepté, — Ehrmann au service de l’Allemagne, — de porter, un an, sous les aigles noires de l’Empire, le casque à pointe, pour que, des années, on pût préparer le retour du drapeau tricolore. Conspirateur né et bientôt consommé, patriote de feu sous son apparence de flegme, trompant l’ennemi, mais capable de le fronder, avec une ironique courtoisie, audacieux et mystérieux, il m’apparaissait le Deus ex machina qui, de la coulisse, détraque les drames ou les fait rebondir. Il avait voulu que l’Alsace, s’étant gardée pour la France, revînt d’un bond à la France ; elle lui revenait. C’était donc pour ce magicien, maintenant, jeu d’enfant que, tout entière, elle se dressât devant le Président ; il suffisait que, ayant promené sur la province son œil noir magnétique et prenant, il touchât de sa baguette la place ci-devant de l’Empereur, aujourd’hui de la République, pour que celle-ci se remplît d’une fête sans précédent offerte aux yeux et aux cœurs. Comment a-t-on pu ? disaient, ahuris, charmés, transportés, les spectateurs. et nous qui savions, disions : « Un nouveau miracle de notre Enchanteur. »

Le fait est que ce fut si beau et, malgré l’annonce, à la vérité banale, du programme, si inattendu, que cela tint de l’enchantement.

Figurez-vous la grande place nettoyée des débris du bronze impérial abattu, entre l’Université réoccupée par nos savants et le palais ci-devant impérial dominé par nos trois couleurs : des tribunes drapées de tricolore font face à la ville afin que le spectacle soit, d’une façon souveraine, dominé par la cathédrale rouge battant notre pavillon. La place, notre de peuple, semble une mer démontée : mêlés à la foule enrubannée, tant d’officiers et de soldats, qu’ils dessinent en la masse de grandes marbrures d’un bleu pâle. Les tribunes sont près