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de s’écrouler sous une autre foule si brillante que c’est merveille : pêle-mêle magnifique d’uniformes militaires, de costumes locaux, d’écharpes parlementaires, de voiles bleus de la Croix-Rouge, de papillons chatoyants, — les papillons citadins accourus pour voir s’envoler les papillons de la montagne et de la plaine. Le Président, les présidents, les ministres, les maréchaux, les représentants des villes d’Alsace, les hauts chefs militaires, le groupe prestigieux aperçu tout à l’heure sur le perron de l’Hôtel de Ville, mais qui, tout à la joie de la journée, gagné par l’allégresse débordante de la foule en cette apothéose, n’a plus la gravité des heures officielles et se récrée franchement ; car chaque président, chaque maréchal ayant, sans souci de protocole et du qu’en-dira-t-on (on n’en dira que du bien dans toute l’Alsace), saisi sous les bras une des petites Alsaciennes rangées en contrebas de la tribune, l’a installée à ses côtés, si bien que chacun de ces gros personnages a près de lui une manière d’ange gardien qui, les ailes frémissantes, se sent aussi heureux qu’au paradis.

Dans une légère brume bleue, les fanfares éclatent ; la célèbre 38e division défile, présentée par son chef, le général Dufieux ; les zouaves, les tirailleurs, les chasseurs, les alpins bleus, tous ceux que nous avons acclamés, le 25, près du maréchal Pétain, et bien d’autres. Et puis les drapeaux glorieux, parmi tant d’autres, celui des bataillons de chasseurs, entre deux simples chasseurs chevaliers de la Légion d’honneur, que le Président, vieux chasseur à pied lui aussi, salue avec une particulière émotion. Quelle fougue, avec quelle rectitude, en ce défilé ! Troupes enlevées par des fanfares à réveiller les morts, enseignes qui, peu à peu massées, évoquent toutes les grandes batailles et ressuscitent tous les splendides souvenirs de notre guerre, la gloire en marche dans un ouragan d’acclamations tel, que jamais peut-être, au cours de ces semaines de fortes impressions, je n’en éprouvai une si bouleversante ; c’est avec cette, division d’élite, avec les canons gros et petits, avec les chars d’assaut en escadres, toute l’Armée victorieuse et libératrice qu’on acclame en une sorte de mugissement continu et grondant. La perfection dans la beauté, le plus haut degré dans l’enthousiasme.

Alors une pause : le dernier soldat a défilé ; les drapeaux ont disparu ; les fanfares semblent éteintes.. Qu’attend-on ?