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Souville ou, plus au Nord, la côte de Froideterre, Verdun succomberait ou serait sauvé. Ils reprirent Fleury, et la balance soudain pencha de notre côté.

J’ai vécu, de février à octobre 1916, tout ce drame sur place. A en revoir le théâtre, je sens mon cœur battre d’une sorte d’effroi rétrospectif, mais aussi d’un grand orgueil.

Là, fut brisé le deuxième grand assaut allemand. Le premier avait été repoussé en 1914 sur la Marne et l’Yser, le troisième devait l’être, en 1918, en avant de la montagne de Reims ; mais, si j’en crois ce que déjà l’on connaît de la guerre vue du côté allemand, on a l’impression très nette que Verdun fut, pour les armées ennemies, la vraie pierre d’achoppement. Après Verdun, le rêve allemand, qui avait survécu à la Marne, à l’Yser, ne fut plus qu’un cauchemar coupé de lueurs éclatantes, mais fugitives ; trop de sang allemand avait coulé l’Empire de proie gardait au flanc une blessure qui, même à ses heures de passagères victoires, l’affaiblissait et rendait hasardeux les efforts les plus énergiques. La Fortune voulut que l’armée française, qui seule alors combattait aux champs de Verdun, portât à l’ennemi héréditaire le coup d’estoc, puis le coup de taille, dont il ne se releva qu’en apparence et dont, après des mois, il ne put complètement guérir.

Verdun est un amas de ruines. La ville n’a pas disparu, ainsi qu’Ypres, de la surface de la terre, mais ses décombres rejetés des deux côtés des rues font de celles-ci la chose la plus lamentable du monde ; lorsque les obus tombant, et les maisons croulant sous les obus, je parcourais ces rues, elles inspiraient moins de chagrin. Seule ou presque seule, la citadelle a résisté, asile sûr où, tant de fois, j’ai laissé passer les bourrasques.

Mais ces spectacles, celui qu’offre la grise plaine de Woëvre, celui que présentent les ravins des côtes, celui du plateau et des forts en ruine, celui de la ville écrasée, m’inspirent aujourd’hui un sentiment qui efface tous les autres : un respect exalté de reconnaissance. Ce sol raviné que creusent les trous d’obus, mais que gonflent les tombes, ces pierres croulantes, ces pavés crevés, je voudrais les baiser en ce jour avec une piété décuplée.

Certes, j’ai toujours senti qu’en résistant là, contre toute espérance, en disputant pied à pied le terrain, en arrêtant l’agresseur, en le rejetant finalement vers la plaine, le soldat