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Divin Mantouan, harpe d’or, doux cygne,
Que de soirs je bus à ta source insigne !
Combien de matins je les ai cherchés,
Tes vallons secrets aux fraîches haleines,
Tes bergers veillant sur les brebis pleines,
Tes guerriers fameux et tes grands nochers !

J’évoquais, — Dieu sait avec quel délice ! —
Les champs de pavots, d’orge et de mélisse.
Le temple qui monte au bord de la mer,
Le ruisseau qui pleure au bord de la route
Et, — de roc en roc, — la chèvre qui broute
Le cytise en fleurs ou le saule amer.

Je ressuscitais les nymphes captives,
Les inflexions des flûtes votives,
Le chapeau de jonc du pâtre endormi.
Les buissons chantants, les eaux cristallines.
L’ombre qui descend du haut des collines
Et la chaste lune au silence ami.

Je faisais surgir de la page ouverte
La blanche Paros, Donuse la verte
Et l’archipel sombre où croit le chardon ;
Je vivais tout bas l’idylle et la geste :
Je joignais mes bras à ceux de Sergeste,
Je mêlais mes pleurs à ceux de Didon.

Je suivais au loin, parmi la campagne.
Le vieillard Anchise et l’enfant Ascagne,
Nisus, Euryale, Anne, Amaryllis.
Ces noms m’enchantaient ; dans ma docte rage,
Je les appliquais à mon entourage :
Père était Evandre et maman, Phyllis.

Ma pauvre Clémence était la harpie.
Le vieux garde Jean sur son cheval pie
Se vit baptiser Priam ou Turnus.
J’appelai le ciel : le champ de Saturne.
Mon vin fut nectar, mon soulier cothurne,
Et, — dévotement, — je priai Vénus.