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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/613

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Un jour, avisant, dans un site agreste.
Un vieux paysan qui faisait la sieste,
Je fus l’éveiller pour voir ses pipeaux.
Il n’en avait pas, me dit-il, mais comme
Je vis qu’il allait reprendre son somme.
Je lui tins d’abord ces savants propos ;

« Si tu veux goûter les fruits de la terre,
« Couronne de fleurs un large cratère,
« Offre une génisse, un gâteau de poix,
« Garde l’ægypan loin de ta pâture,
« Crains le jour d’Orcus, observe l’Arcture.
« Et que ton timon soit durci deux fois. »

Il me regarda d’un air d’hébétude ;
Puis, il s’éloigna, plein d’inquiétude,
De ce pas traînant qu’ont les paysans
Laissant déconfit et mélancolique
Ce petit garçon d’âme bucolique.
Ce vieil humaniste âgé de dix ans.


LA TERRASSE


O terrasse d’enfance au parfum d’oranger !
L’automne s’accoudait à ses charmants balustres,
La vigne était royale et prête à vendanger,
La rivière plongeait sous les coteaux illustres
Et la nuit, alternant ses ombres et ses lustres,
Faisait l’arbre plus noir et le cœur plus léger.

Le dîner finissait ; inclinant sa chandelle.
Le vieux valet venait, au bout du salon bleu,
Allumer les flambeaux sur la table de jeu ;
Le curé s’enfonçait au voltaire fidèle,
Mon grand-père battait les cartes ; tante Adèle
Ouvrait sa chaufferette et s’approchait du feu.

Mon père reprenait Montaigne ou son Horace ;
Nous, les enfants, cousin, cousine, frère, sœur,
Les grands et les petits aux taches de rousseur,