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Je me bornerai à quelques mots sur le rôle de Clermont-Tonnerre. Dans la vie du soldat, après le lent travail que je viens de décrire, la bataille est la récompense. Cette journée passa l’espérance : elle paya d’un seul coup le labeur de l’été.

J’ai vu Clermont-Tonnerre le lendemain de l’action. J’ai ses notes sous les yeux, et surtout je l’entends lui-même, par ce glorieux après-midi d’été de la Saint-Martin, dans la pourpre et le silence des bois de Nixéville.

L’impression de victoire avait commencé tout de suite. A quoi cela se sent-il ? À quels symptômes se perçoivent ces mystérieux changements de signe ? Comme les autres fois, la division avant l’attaque s’était rassemblée à Verdun. C’est de la citadelle qu’elle s’était mise en marche en juin pour 304, en août pour Fleury ; c’est dans ce même secteur qu’elle retournait encore. Personne n’était dans le secret. Pourtant, quand les zouaves se formèrent, lorsque leurs bataillons khaki, vers le soir, au soleil couchant, défilèrent dans les ruines de la ville héroïque, tous les territoriaux, les gardes-magasins, les artilleurs de la forteresse et du faubourg, formant la haie sur leur passage, instinctivement, sans ordre, rectifiaient la position et se mettaient au garde-à-vous, comme pour honorer tant de jeunesse, tant de fierté et tant de gloire qui allaient mourir. C’était, me disait Clermont-Tonnerre, comme si le Saint Sacrement passait.

Un matin pluvieux enveloppa l’attaque. Le départ de l’assaut se déroba sous ce voile. Le Nord du champ de bataille se perdait dans la brume. L’heure H était onze heures quarante. L’aumônier de la division avait passé le matin dans les parallèles de départ. Beaucoup de zouaves avaient communié, leur capitaine en tête.

Je voudrais retrouver ici les paroles de Clermont-Tonnerre, leur puissance d’émotion, leur grandeur religieuse. Cinq minutes avant l’heure, il sort ; un Souvenez-vous, sa médaille de la Vierge dehors, sur la capote, « en acte de foi, » la canne dans la main gauche, dans la droite le revolver. Il attend. Nos obus font une voûte qui chante sur sa tête. Le matin il a vu ses hommes, dit un mot à chacun : « Je compte sur vous, comptez sur moi. » Il est tranquille, ils suivront tous.

« Nous montions une côte en pente douce jusqu’à la crête. A gauche une petite butte qui borne l’horizon ; mais à ma