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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.

racontait des horreurs commises dans les villages envahis. À la nuit tombante, un régiment anglais arriva de la bataille, escorté de ses ambulances, où gisaient les blessés de la journée. Il n’y avait de Croix-Rouge qu’à la ville voisine ; aussi les coucha-t-on sur la paille dans une des salles de la mairie, pendant que leurs compagnons d’armes restés debout mendiaient vainement un morceau de pain. Le convoi de ravitaillement avait pris une autre direction, les habitants avaient emporté ce qui leur restait de vivres. Et ce fut sans manger après trois journées de combat, que les soldats harassés se couchèrent le long des rues pour prendre un repos que l’ennemi troublerait peut-être. Les patrouilles allèrent et vinrent toute la nuit. L’ennemi était proche, il pouvait paraître à chaque instant ; le reste des habitants fuyait. Dès l’aurore, nous avisâmes à ravitailler ces malheureux soldats, mais nous restions soixante habitants sur huit cents, et les boulangers eux-mêmes avaient fui. Vers le matin, les ambulances de la ville voisine vinrent recueillir les blessés. Tous furent enlevés, sauf six qu’on nous laissa avec promesse de venir les prendre dans la matinée. Ils devaient nous rester…

Vers neuf heures du matin, un silence de mort planait sur le village que survolaient les avions ; les shrappnels pleuvaient. Nous transportâmes nos blessés dans une maison amie, chez Mlle Henriette Moriamé, une des héroïnes du récit qui va suivre ; nous les pansâmes. Il était temps… les Allemands arrivaient. Il était midi. À cheval, le revolver au poing, ou la lance à la main, ils avançaient en silence. Ce n’était qu’en tremblant qu’ils se risquaient dans ce village désert ; ils allaient inspectant à droite et à gauche, prêts à tirer sur quiconque paraîtrait : ils n’avaient guère la mine de conquérants, uniquement possédés par la crainte d’une surprise. Le spectacle changea quand les premiers eurent traversé le village. Au silence terrifiant de l’arrivée succédèrent des cris, des vociférations ; les vitres volaient en éclats dans les maisons où les propriétaires absents ne pouvaient répondre aux coups frappés sur les portes. Et bientôt, on ne vit plus sur les chevaux et voitures que piles de bouteilles, de linge, d’objets les plus hétéroclites. Les premiers soldats croquaient des navets crus, ceux qui suivirent buvaient le vin à la bouteille. Dans les maisons inhabitées, les soldats vidaient les armoires, se confectionnaient à la hâte des