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plats écœurants par le mélange et la profusion ; ce qu’ils ne pouvaient consommer sur place, ils l’emportaient ou le piétinaient. Rien n’échappait à leurs investigations. Là où ils trouvaient un piano, ils s’y installaient, chantaient et dansaient… revêtus des vêtements féminins qu’ils avaient volés. Et je ne puis exprimer le dégoût éprouvé à voir des soldats à cheval, affublés de robes de femmes qu’ils abritaient sous des ombrelles blanches. C’étaient bien les barbares dont on nous avait parlé… Pour procéder plus vite au pillage des magasins, les soldats tendaient de l’intérieur les marchandises qu’ils trouvaient, et leurs camarades les attrapaient au passage, sous le regard bienveillant de leurs officiers. Le pillage était un droit acquis au vainqueur.

Les Allemands entrés chez mon amie y trouvèrent nos six blessés. D’un geste violent, un officier découvrit le premier, dont la plaie n’était que trop visible ; puis il procéda à un interrogatoire minutieux, accompagné de menaces, sur la bataille de la veille, les noms des officiers, les numéros des régiments, les routes prises par les fuyards. Tout l’après-midi, les envahisseurs se succédaient pour venir ricaner auprès des lits de nos hospitalisés. Maintenant ils se sentaient les maîtres, et ne songeaient plus qu’à s’imposer par la terreur. Au moment où je voulais rentrer chez mon amie, un officier supérieur m’arrêta, et, revolver au poing, me demanda combien nous avions de blessés. À ma réponse : « Six, » — « Dites la vérité, insista-t-il, ou vous serez fusillée. »

Jusqu’à minuit, ce fut un défilé de troupes, de voitures, de cavaliers accompagnés de cris et de hurlements, car tous, chefs et soldats, étaient ivres. Entre les chevaux, nous voyions parfois de pauvres paysans attachés par des cordes et exposés à tout instant à être piétinés ou écrasés. C’étaient des otages sans doute, raflés dans les villages traversés. Que devinrent-ils ? Nous n’en avons jamais rien su.


LE SAUVETAGE DES SOLDATS ALLIÉS


On nous avait annoncé que nos blessés nous seraient enlevés la nuit suivante : on nous les laissa. Nous avions arboré le drapeau de la Croix-Rouge ; la maison était située sur la route départementale de Maubeuge à Valenciennes, jour et nuit