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maxime de la conduite qu’il a observée à l’égard d’une littérature étonnante. S’il n’aimait pas également tout du romantisme, étant si raisonnable quant à lui, du moins a-t-il senti qu’un prodigieux mouvement littéraire se produisait : il l’a non point gêné, mais favorisé, comptant que le génie s’aperçoit un jour de son erreur. Il a été, avec ces poètes et avec cette révolution qui transformait la poésie, l’intelligence même.

Ces poètes n’étaient pas commodes à conduire. Et leurs aventures d’amour ne sont pas tout l’ennui qu’en éprouvait leur directeur ; il y avait encore leurs aventures de fatuité. Le 30 octobre 1832, après Le Roi s’amuse, la Revue inséra cette petite note : « A peine âgé de trente ans, M. Victor Hugo s’est fait dans notre littérature une place unique et immense... » On lit cela sans grand émoi... « Drame, roman, poésie, tout relève aujourd’hui de cet écrivain... « Cela ne fut pas lu sans émoi par les émules de Victor Hugo. Vigny, le grand Vigny, ne voulut absolument pas relever de Victor Hugo. Mais il avait bien raison !... Le tort, c’est d’avouer qu’on a du chagrin dans l’orgueil. Et l’auteur de Stello fit savoir qu’il était fâché. La petite note consacrée à la louange de Victor Hugo avait été apportée à la Revue par Sainte-Beuve ; et Sainte-Beuve écrit à Victor Hugo : « J’ai su que vous saviez les misères d’un gentilhomme de notre connaissance ; un homme qui en est venu là ne fera plus que de la satire... » Cette année-là, Sainte-Beuve était particulièrement dévoué à Victor Hugo. Le gentilhomme pria Buloz de corriger la petite note : un mot dans la chronique de la Revue ; et l’on n’en parlerait plus. Sainte-Beuve se méfia, surprit Buloz « en train de fabriquer » une note qui fût agréable au gentilhomme. Il offrit son aide ; et l’on imprima ceci : « Puisque l’occasion s’en présente, faisons remarquer que lorsque récemment... » La phrase est embarrassée ; mais Buloz l’était aussi : et Sainte-Beuve, en l’aidant, le taquinait... « il est échappé à la Revue de parler des écrivains qui relèvent d’un autre grand écrivain, il va sans dire que les maîtres en tout genre n’entraient pas dans notre pensée. Le grand poète dont il s’agissait serait le premier, nous en sommes certains... » Vous n’en croyez rien !... « à repousser une telle prétention. Les Lamartine, les Vigny... » Nous y voilà !... « les Mérimée, les Barbier, les Dumas ne relèvent que de leur propre direction ; leur pensée n’appartient qu’à eux, ainsi que l’instrument par lequel ils s’expriment. » Le gentilhomme est-il content ? Il ne l’est pas : il se déclare « plus offensé de la rectification que du premier jugement. » Et c’est une anecdote qui montre que les petits