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auteurs ont quelque analogie avec les grands, si les petits sont vaniteux. Or, la première note, apportée par Sainte-Beuve et qui sacrifiait tous les poètes à Victor Hugo, Victor Hugo l’avait dictée à Sainte-Beuve : Buloz le dit à George Sand, dans une lettre qu’a bien gaiement retrouvée Mme Pailleron. Et Buloz ajoute : « J’ai encore présent à la mémoire l’orage que ceci me valut d’un côté, les railleries de l’autre, et je me promis de n’être plus dupe ; de pareil charlatanisme. Croyez-en mon amitié et mon expérience : louez, mais restez dans la mesure. » Buloz ne demandait qu’à rester dans la mesure ; mais il avait affaire à ces romantiques ! Les romantiques, venant après trois siècles de littérature et quand tout le principal était dit, résolurent de dire davantage ; et, dans les moments où ils ne sont pas animés de tout leur génie, leur stratagème est de gonfler vaille que vaille l’expression. Ils écrivent beaucoup et avec beaucoup d’exubérance : et ils usent beaucoup les mots. Alors, ils redoublent d’acharnement ; et, pour dire que Victor Hugo est un grand poète, ils lui offrent une hécatombe de poètes : Victor Hugo l’offrait à lui-même. Les formules de la louange ont, à cette époque, on ne sait quelle truculence comique. Mais, de nos jours, un critique ayant dit d’un comédien : « M. X... a été, comme à son ordinaire, admirable, » ce comédien se répandit en doléances et demanda ce que le critique avait contre lui.

En 1835, au lendemain de Chatterton, Planche, qui n’avait pas aimé Chatterton, fît son article sans douceur. Et Vigny, de se fâcher encore. Et Buloz de rédiger encore une note aimable : « Nous faisons des vœux pour que la popularité de Chatterton réfute glorieusement l’opinion individuelle de notre collaborateur ; tout assure, du reste, une brillante carrière au drame touchant de M. Alfred de Vigny. A l’auteur de Stello, la gloire d’avoir tenté le premier une réaction contre le drame frénétique et le drame à spectacle ; et cette tentative, nous l’espérons, portera ses fruits. » C’est obligeant et c’est habile. Seulement, les fabricants de drames frénétiques ou à spectacle, on devine assez bien leur colère. Et Vigny écrit à Buloz : « Vous n’avez rien combattu, dans votre note : elle ne fait que confirmer votre article. » Pauvre Buloz ! Et Aboyez sa bonté patiente : il publie une note nouvelle, pour affirmer que Chatterton réussit le mieux du monde, que le public ne se lasse point d’y applaudir, et d’y pleurer, d’y retourner avec persévérance ; et, « en matière de théâtre, le public est juge souverain. » Sur ces entrefaites, un député, M. Charlemagne, fit un discours à la Chambre, un discours comme ils en font, et signala ce Chatterton, apologie pour le