Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/702

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’un des personnages prend la parole, le poète intercale dans le vers un « dit-il, » un « dit Charles, » nécessaire pour marquer le passage du style narratif au style parlé.


Hugues, dit-il, je suis aise de vous apprendre...
………………..
Ces bons Flamands, dit Charle, il faut que cela mange...


Cette enclave est bien gênante : on ne peut la mettre dans la bouche de Charlemagne ; on ne peut davantage la supprimer, sans faire chaque fois un vers faux. Donc on a imaginé de placer un « récitant » sur le devant de la scène. Il a pour mission de guetter au passage la malencontreuse incidente et d’en faire son affaire... Sans commentaires.


M. François Porché est un jeune poète du plus beau talent. Ce n’est pas aux lecteurs de cette Revue que j’ai à l’apprendre. Il rêve de nous donner un théâtre de poète. On ne saurait trop l’y encourager et témoigner à chacune de ses tentatives trop de sympathie. Tout ce qu’on pourra faire pour relever le niveau littéraire et moral de notre théâtre sera le bienvenu. Nous sommes tous d’accord pour penser qu’il nous faut, au lendemain de la guerre, un théâtre renouvelé, rajeuni, assaini ; nous ne demandons d’ailleurs pas un théâtre de morale en action : il nous suffira d’un théâtre désembourbé. Honneur donc à ceux qui se font de leur art une idée noble, et y poursuivent un idéal littéraire plutôt que mercantile !

M. Porché s’est créé un instrument poétique qui est à lui, et qu’autorise pourtant la tradition, sans laquelle aucune versification n’existe : cela déjà n’est pas un mince mérite. Il a repris le vers libre, mais à coupe régulière, sans rien de commun avec le vers invertébré et amorphe, qu’avaient naguère tenté d’acclimater chez nous quelques destructeurs du vers français. Il n’est tombé ni dans les gauchissements de rythme, ni dans les fléchissements de rime, aujourd’hui surannés, et qui sont, à les appeler par leur nom, de vulgaires fautes de prosodie. Sa versification est probe et saine comme sa langue est de qualité loyale et de bon cru. Nous les avions fort admirées dans les Butors et la Finette. Cette fois, il nous donne une comédie lyrique mêlée de prose et de vers, la prose étant réservée aux parties de comédie, et le vers commençant de chanter aux instants où la pensée s’élève et où naît l’émotion. Je n’ai pas besoin de rappeler qu’il en est de nombreux exemples dans l’histoire de notre théâtre.